POÈMES DE MON NOUVEL ÂGE, 1998, 2016 (éd. Edmond Chemin)
* * *
À chaque jour suffit sa joie
Et à chacun suffit sa voie
Va toujours vers ce qui te plaît
Mais ne regarde jamais à côté
* * *
Ma conscience est sans visage
Elle ne cherche pas son âge
Elle est comme un matin
Qui n'a pas de fin
Elle est comme la lumière
Qui elle-même s'éclaire
Elle n'a donc pas de mots
Pour dire ce qui est le bien et le beau
Car il n'y a rien sous le voile
Que l'infini et ses étoiles
L'éternité du maintenant
Dont Vous est le seul élément
* * *
Je voudrais me noyer dans la matière
Comme une graine qu'on oublie
Pendant tout un hiver
Et puis soudain voilà qu'elle sort du néant
Et personne n'y comprend rien
D'où elle sort celle-là
D'elle il n'y avait aucune trace
Et tout d'un coup voilà qu'elle prend toute la place
Elle avait si complètement disparu
Qu'on avait oublié son existence
Et soudain elle sort d'un souterrain
Comme d'un tunnel obscur en plein milieu de la lumière
Bonjour
Vous allez bien
Moi aussi
Je reviens de loin
* * *
Guerriers de l'espérance
Nous avons pris tous les matins comme des dimanches
À l'orée de la nuit
Pourtant nous guettaient tous nos ennemis
Et la lune agitait son flambeau blafard
Au-dessus des rues de mon hasard
J'entendais les murmures des ruisseaux lointains
J'attendais les poupées au visage mutin
Il n'y avait ici aucun rêve
Je brisais simplement la froideur de mes lèvres
* * *
Ô ami de jadis
J'ignore ton nom d'artiste
Tu me jouas si bien la comédie
Que je la préférai à la vie
Sur les places des villes il y a parfois ta musique
Et l'Éternel me dit que tu es triste
L'Éternel écoute ma prière
Je ne suis pas fait que de bois
Mais aussi d'un métal qui ne rouille pas
Mon âme est acérée
Par l'usure des vieux baisers
* * *
La paix silencieuse de demain
Sera fait de l'ignorance d'aujourd'hui
Lourde fatalité léguée par nos pères guerriers
À l'aurore de l'avenir qui sommeille encore
Et personne ne sait vraiment
Si le serpent souterrain
Des rêves humains
Apparaîtra un jour à la lumière
Je ne vois rien
La vie me vient
Et surtout sans cesse elle revient
* * *
Quand coulera le sang noir de la rancune
Alors nos regards s'éclairciront
Et nous monterons main dans la main
Par ces chemins secrets
Qui mènent là d'où personne n'est revenu
Nos lèvres tremblantes balbutieront des mots
Qui feront frémir les esprits sauvages
Galopant dans cette plaine immense
Où nous passerons tranquillement
Désarmés jusqu'aux dents
Pour mieux goûter au firmament
* * *
Certains disent qu'en moi il faut avoir foi
Pour obtenir des grâces
Ils me vénèrent comme le roi des rois
Ils pensent que c'est une attitude efficace
Mais moi je ne suis qu'un pauvre hère
Et je ne comprends pas leur croyance
Moi-même je suis dans la misère
Ma seule richesse est mon existence
Oui je sais que je donne parfois
Mais je ne suis pas comptable
Je ne donne qu'à ceux qui ne calculent pas
Et qui à moi peuvent être semblables
* * *
Quand l'orgueil fait naufrage
Il prend l'autre pour otage
En lui donnant l'amour pour rançon
Il le guérit sans raison
* * *
Ici je ne me sens jamais seul
Mais je me sens toujours aimé
Sans avoir rien à prouver
Même pas que je suis heureux
Ou malheureux
Je peux être
Vous peut être
Dans la nuit à peine finie
Je suis déjà les yeux de l'aurore
Et je crée chaque jour qui vient
À la lumière de mon coeur
* * *
Un orage a grondé
Et mon coeur a tremblé
Passent les nuages
Entre de célestes rivages
Dans la ruelle
Un enfant est passé
Il chantait
Et je l'entendais
La vie était belle
* * *
Il y avait aussi le ruissellement automobile
Des routes qui ne se croisent jamais
Dans cet infini désert où toutes les directions
Mènent à la même solitude
Ici paysage et pensée sont toujours co-créés
Ici le paysage est aride pur
Mes pensées le créent et il crée mes pensées
* * *
L'Homme tomba près de moi
Jamais je ne le sentis aussi proche
Que lorsque nous nous relevâmes
Ensemble
À la fois fragiles et puissants
Parmi les autres hommes
* * *
Je n'ai qu'un cri
Et je l'ai lancé très loin là-bas
Quelqu'un l'a ramassé dans le sable brûlant
Et l'a mis au frais
Sous les ombrages de l'oasis bleue
Mais le bourdonnement enivrant de la chaleur
Est comme un mur que je n'arrive pas à traverser
Je t'aime
Ce message ne t'atteindra jamais
* * *
Les élans de la nuit
Ont rouvert la plaie profonde de mon ennui
Et j'ai plongé dans l'eau précieuse
De ta jeunesse radieuse
Je ne m'y suis point noyé
Mais j'y ai tout oublié
Et par ma défunte mémoire
C'est à toi à présent que je vais croire
* * *
Je suis né ivre
Ivre de ma joie de vivre
Pas comme un livre
Mais pour être
Pour me reconnaître
Pour te reconnaître
Toi
Et beaucoup d'autres amis
Je suis né pour t'aimer
Et être aimé
Je suis né
* * *
L'odeur de ta peau sauvage
Sans cesse musclait mon désir ardent
Et je m'enfonçais en toi
Lourdement
Comme le chasseur fourbu mais têtu
Entre dans une fraîche clairière
Au beau milieu de sa jungle torride
* * *
L'alliance
Entre la douce bonté
Et la féline beauté
Ces deux qualités qui sont celles du désert
Ce n'est pas le soleil qui nous y fait délirer
Ce sont les forts contrastes
Où le contraste ne s'oppose plus à l'harmonie
Toujours je chanterai l'association splendide
Du doux et du beau
Cela n'est-il pas divin
Le démoniaque mêle beauté et violence
La grâce ne suscite pas de transe
* * *
Les fils de la nuit tissent une mosaïque
Où je distingue à peine les planètes de mon futur
Voie étoilée
Que je prendrai un jour
Ou plutôt une nuit
Comme on prend un train sans savoir où il va
On est surpris ensuite
Que le contrôleur ne soit pas surpris
Le billet est bon
Bon pour l'infini
* * *
Je m'entends dire
Que je puis être à la fois bon et puissant
Je me laisse glisser dans le néant
Je me sens aimé
Et j'aime intensément
Éternellement
Je ne sais qui
Je ne sais quand
Mais je me sens bien
Comme un amant qui n'a plus besoin de jouir
Tant il partage
Son amour
* * *
J'allais toujours sur ce chemin
Qui descendait descendait sans cesse
Un peu plus chaque jour
Mais je n'arrivais pas à sombrer vraiment
Toujours quelque chose me retenait
J'étais à la fois touriste et mendiant
À la fois humble et distant
Je ne craignais pas d'être sali
Les bactéries étaient mes amies
Je leur disais toujours merci
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Vérité
Tu es nue
Tu as froid
Je voudrais te donner un peu de chaleur
Mais tu n'aimes pas ma passion
Tu ne m'aimes pas
Je ne sais que faire de toi
Ton impudeur me gêne
Ton indifférence me peine
Je ne peux de toi abuser
Car tu n'as pas d'intimité
Alors je t'habille de mes poèmes
Et enfin je sens que je t'aime
* * *
J'AI VU aussi des fleurs étranges
Comme je n'en avais encore jamais vu
Elles étaient vertes
Leur parfum m'enivrait
D'une ivresse se profonde
Que je m'assoupissais
Mes rêves m'amenaient vers les rives
Du passé
La nostalgie ne me réveillait pas
Je me trouvais au milieu de débris
Qui n'étaient que le reflet de mon esprit
* * *
Torride torrent d'amour rouge
De violence amoureuse respectueuse
Que je déverse soudain au plus profond
De ta délicate tendresse
Et dix arcs-en-ciels étincelants
Éclatent autour de nous
Et leurs doux débris recouvrent
Bientôt nos corps
En ensevelissant nos mémoires
* * *
Et le feu sanglant est rouge
De ta pudeur mon enfant
Mon enfant broyé
Qui interdira mon poème
Car il est fou
Il m'accusera de violence
De démence
Comme le cavalier qui saute la haie
Et rouvre ainsi du cheval blessé la plaie
Tu ne sais pas ce que c'est d'aimer
* * *
Laisse-moi donc à ma folie
Là où s'ouvre l'infini
De la conscience
Où se rejoindront enfin ma mort
Et ma renaissance
Ne cherche pas à comprendre
Regarde simplement
Regarde simplement
Ma plaie
Je te hais
* * *
Éclate ma joie
Vieux feu d'artifice rituel
Éclate-toi
Insulte les fous
De la Raison
En t'éclatant en plein midi
Et seules les âmes simples
Sauront s'en réjouir
* * *
Le tambour de la passion
Ne peut battre qu'aux élans
De la Mort
Qui menace
Dont le plaisir vous menace
Dont le rire vous menace
Et moi aussi je passe
Et vous aussi passez passants
Je vous aime
Ne me regardez pas
Passez
Passants
* * *
Comme l'oeil de l'ouragan
Tu vois et tu ressens
À la fois silencieuse présence
Et violente transe
Tu n'es attaché à aucun port
C'est pourquoi tu ne crains pas la mort
Et ta soudaine absence
Ne suscitera qu'indifférence
Car c'est au présent que tu vis
Le temps n'est pas pour toi un alibi
Jamais il ne passe
Il n'est que de l'autre la place
* * *
Le rire d'enfants
Heureux comme des petits dieux
A fait vibrer mon coeur
Il vit mieux
* * *
Oui c'est vrai j'ai souvent fait ce voyage
Oui c'est vrai j'ai souvent franchi le grand passage
Et j'en suis toujours revenu
Bien qu'à chaque fois ce n'était pas prévu
Mais cela se fait quand même
Peut-être parce que c'est une chose que j'aime
Je veux dire que je l'aime trop
Alors on me fait revenir illico presto
Les gens de là-bas n'aiment pas les touristes
Ils les considèrent comme des fumistes
Pour eux il ne faut pas se contenter de visiter
Mais il faut vraiment s'y installer
C'est vrai que c'est un beau lieu de résidence
Comme il n'en existe pas dans cette existence
Mais c'est aussi un peu ennuyeux
De voir tous les jours tout le monde heureux
* * *
Dans d'aussi belles demeures
Les visites les plus courtes sont les meilleures
C'est trop bien pour moi
Ou peut-être ai-je l'impression que je ne le mérite pas
J'y parviens toujours par inadvertance
Quand j'oublie mon existence
Quand je suis tellement distrait
Que j'oublie mon intérêt
Quand je me sens être personne
Et qu'au hasard je m'abandonne
Alors je me sens par tout envahi
Et je ne sais plus qui je suis
* * *
C'est cela le Grand Voyage
C'est ne plus voir son visage
C'est se prendre pour un autre
C'est abandonner toute mémoire
Ne plus délimiter son territoire
Et alors on voit tout verticalement
On change radicalement de plan
C'est aimer tout et ne s'attacher à rien