L'AUTRE ICI, 2015 (éd. Edmond Chemin)
Ici est un point sans fin
De tout il est plein
C'est une caisse de résonance
Pour la musique et la danse
A la fois l’immuable essieu
Et la grande roue des cieux
Qui tourne à si vive allure
Qu’à chaque instant elle me défigure
Mais même sans reflet
Je me sens aimé
Je n’ai plus de rêve
Je revis sans trêve
* * *
Ici pas de chef
Ce n’est pas un fief
Pas besoin de guide
Pour voir qui ici réside
C’est un vieux mendiant
Qui est aussi un petit enfant
Il ne peut vivre que de manière secrète
La publicité le fait disparaître
Ce n’est pas une attraction
Ce n’est pas une religion
Comme un oiseau craintif il s’envole
Au premier tour de parole
* * *
Assis sur mon arrière-plan
Je suis vraiment trop lent
Dans la clairière paisible et sans fin de ma conscience
Le monde me paraît toujours comme en transe
Ô mes amis que j’aime votre allégresse
C’est la plus belle de mes maîtresses
J’aime sa divine créativité
Qui jaillit en silence et me fait aimer
* * *
Je ne veux pas qu'on me pardonne
Je ne veux pas qu'on me sectionne
Je veux rester entier
Je ne veux rien renier
Pourtant je me sens honteux
D'avoir été aussi affreux
Toutes ces souffrances
Cette coupable insouciance
Oui je sais j'ai aussi été bon
J'ai fait parfois de moi le don
Ce sera compté dans l'ultime inventaire
Mais vous savez je n’en ai rien à faire
* * *
On ne me reconnaît pas
Quand je veux rentrer chez moi
On ne comprend pas mon langage
On me prend pour une image
Je me sens éternel
Mais on me dit que je suis mortel
Je me sens sans limites
Mais on me dit qu'elles sont très réduites
Par tout on me séduit
Je finis par oublier qui je suis
Même mes accès de violence
Je ne sais plus ce qu'ils compensent
* * *
D’ICI personne ne s’évade
Car il n’y a pas de façade
Il n’y a que trois murs dans cette maison
C’est une drôle de construction
Une étrange architecture
Avec devant une immense ouverture
Et derrière il n’y a rien
Ni début ni fin
C’est comme une racine
Sans la moindre origine
* * *
Le monde va exploser
Mais moi je resterai
Je resterai immuable
Face à l'inacceptable
Ce n'est pas que je sois meilleur que vous
Ou le plus intelligent de tous les fous
Et comme vous de la vie je suis avide
Comme vous je n'aime pas le suicide
Mais c'est moi qui contiens le temps
Je est l'invisible contenant
De toutes les existences
Elles me servent à avoir de moi conscience
* * *
ICI aucune grande vedette
Peut-être quand même le poète
C’est lui qui se tient grand debout
Et qui n’a pas réponse à tout
Parce qu’il est fragile
On le croit docile
Mais c’est un réveille-matin
Il éclaire nos destins
C’est par la transe
Qu’il crée des signifiances
* * *
Je me sens libre et heureux
En vivant comme un gueux
À rien je ne m'attache
Aucun trésor je ne cache
Je suis trop jouissif
Pour être possessif
Ma seule dépendance
C'est l'intempérance
Je ne suis pas un saint
Pour vivre je n'attends pas demain
Simplement j'assume
Que tous les jours je me consume
Très proche est ma mort
Je ne sens déjà plus mon corps
Seule demeurera la conscience
De mon inexistence
* * *
ICI tout est toujours différent
De ce que l’on attend
L’invisible
Est aussi inaudible
C’est comme une odeur
Que seul sent le chasseur
Et son langage
Est un hommage
Un hommage à l’inconnu
Que jamais il ne tue
Il voile son visage
Et tourne ainsi la page
C’est sur fond de silence
Que l’homme pense
* * *
L'autre n'est jamais fini
L'infini est ICI
C'est ce que la rencontre
Partout et toujours démontre
* * *
Maintenant nous sommes ICI.
ICI est une plaine immense, l'horizon familier de ma vie.
Avec toute la tribu.
Mon dieu, qu'elle est immense !
Nous nous ressemblons tous.
Mon dieu, qui suis-je, qui est l'autre ?
Je ne me vois nulle part...
Des larmes ne cessent de me laver les yeux.
Enfin, je vois.
* * *
ICI je me sens comme un poisson
Qui dans son bocal tourne en rond
En réalité c’est une immense baignoire
Une très très longue histoire
Je pars toujours de la fin pour arriver au début
Comme ça j’ai tout vécu
Je ne cherche pas de rivage
Mais sans relâche je nage je nage je nage
* * *
Je suis hors-champ, je suis hors du temps
Je suis ici maintenant
* * *
À la fois bon et mauvais
Car j’aime et je hais
Je suis un détonant mélange
À la fois démon et ange
Une irrémédiable tension
Au bord d’une explosion
Que seule une douce grâce
Au dernier moment remplace
Une invisible main
Qui je ne sais d’où vient
Avec une étrange indulgence
Me détourne à chaque fois de la violence
* * *
Ma conscience est sans voix
Elle ne connaît ni comment ni pourquoi
C’est un palais de silence
Pour celui qui pense
* * *
L’autre est toujours imprévu
Surtout quand tu te crois au bout parvenu
Il y a toujours une nouvelle conjoncture
Qui t’ouvre à une nouvelle aventure
Et la monotone répétition
Masque l’imminente confrontation
Événement ou personne
Ce qui nous confronte nous étonne
L’apparente uniformité
Cache l’infinie diversité
Nous sommes tous semblables
Et en même temps incomparables
* * *
ICI à zéro millimètre
Tu trouves ton maître
Ta tête est dans les regards
Elle est dans les miroirs
Jamais tu ne te dévisages
Sans te mettre en cage
Tu ne peux te regarder
Sans aussitôt t’enfermer
Dans ta courte mémoire
Ou dans un tout petit territoire
* * *
Bien avant l'horizon
Il y a eu une explosion
Puis un drôle d'arc-en-ciel
Il ne semblait pas naturel
Il avait bien toutes ses couleurs
Mais il n'était pas à la bonne hauteur
Il n'était pas à hauteur d'homme
Il était en face de celui que jamais je ne nomme
* * *
Je me sens brûlant
Je vais mourir en m’asphyxiant
Difficilement je halète
Le sang me monte à la tête
Ma colère éclate soudain
Enfin on me craint
On reconnaît mon courage
Cela me soulage
Mais comme on ne peut pas m'aider
Je dois tout recommencer
C'est toujours la même histoire
Comme si je perdais la mémoire
C'est toujours le même scénario
Dont je suis le seul héros
J'ai besoin d'obstacles
Pour réussir mon spectacle
* * *
A pleine vitesse
Tout change sans cesse
Le conducteur
Est spectateur
Ce n’est plus lui qui voyage
Ce sont les paysages
Immense est l’espace
Il a pris ma place
Et j’ai tout le temps
Maintenant
Le temps est devenu docile
Je suis son domicile
* * *
Soudain voilà que je ris
Soudain voilà que je suis
Je prends conscience
Je suis inconstance
Jamais à moi pareil
C’est cela l’éveil
Impossible à prédire
A la fois le fusil et la mire
Tantôt comme un roi
Tantôt sans la moindre foi
Tantôt dans l’offensive
Tantôt à la dérive
* * *
C’est un passager
Qui ne peut pas payer
On ne retrouve pas sa trace
Il ne trouve pas sa place
Sa place est toujours par un autre occupée
Et il se sent très honoré
Parfois il l’interroge
Jamais il ne l’en déloge
Il change souvent de destination
Il est toujours en reconstruction
Sans cesse il improvise
Mais toujours avec franchise
* * *
On voudrait qu’il n’y ait qu’une seule vérité
Et c’est celle qu’il a enseignée
Ainsi plus de doutes
Plus qu’une seule route
Il n’y a qu’un seul chemin
Celui qui n’en fait pas le sien
Est digne d’indulgence
Mais pas de reconnaissance
Que le point de vue soit différent
Ici n’est pas un bon argument
Quand la conception est totale
Attention la solution devient finale
* * *
C’est un gavage
Qui nous décourage
Sans frustration
Il ne peut y avoir de motivation
C’est contre l’insuffisance
Que nous trouvons l’abondance
C’est contre la division
Que nous recherchons l’union
C’est en fuyant la finitude
Que nous recherchons la complétude
* * *
En cas d’extrême désaccord
Si le différent n’avait pas tort
Tu ne pourrais plus dignement vivre
Sans nécessairement le suivre
Tu as toujours raison
Toi ou ceux de ta maison
C’est ce que tu démontres
Même sans qu’à l’autre tu te confrontes
Sinon tu ne dirais rien
De l’autre tu serais plein
Sans gloire sans panache
Sans pour autant que tu t’y attaches
* * *
C’est un merveilleux alibi
De se déclarer de tout autre son ami
Aucun effort à faire
Même pas celui de se taire
* * *
Oui il te faut être désintéressé
Pour vivre dans la vérité
Celle qui est indépendante
Qui n'est pas une servante
Celle qui ne réagit pas
Quand on lui tend les bras
Qui refuse nos offrandes
Et ignore nos demandes
Si tu en tires un profit
Ce n'est pas à elle que tu nuis
En en faisant une cause
Tu te fais une chose
Mais si tu n'en attends rien
Elle guide ton chemin
Plus elle est stérile
Et plus tu es tranquille
* * *
J’ai voulu croire en eux
Maintenant je suis trop vieux
Mon cœur a pris sa retraite
J’ai fermé ma fenêtre
Mais j’observe le Grand Tout
Par un tout petit trou
Personne ne se doute de ma présence
C’est presque une jouissance
Je suis un grand corps
Qui n’a pas de dehors
Qui ne craint pas la vitesse
Qui vit sans sagesse
Il me reste peu de temps
Il me reste maintenant
Il me reste l’espace
De moi je ne trouve déjà plus la trace
* * *
Cela n’est pas vrai
Je ne peux l’accepter
Ce serait trop facile
Et même un peu débile
C’est ton nouveau refrain
Et il te plaît bien
Tu me prends pour un ange
Tu me fais plein de louanges
Mais je ne suis qu’un brigand
Et tu me voudrais permanent
Je ne suis que de passage
Et tu me voudrais sage
* * *
Il atterrit sur un étrange océan
Il n'y a ni vagues ni courants
Et partout des rivages
Avec différents paysages
Plus que deux dimensions
Plus de confrontations
Plus de mesures
Plus d'armures
Plus de profondeur
Donc plus de peur
Plus d'arrière-monde
Mais la vie qui féconde
* * *
Enfin je me suis libéré de moi
J’ai des milliers de voix
Je me contredis en permanence
Car je ne suis pas qu’indifférence
Faisant à moi bravo
Quand je me crois sans ego
Le plus brillant des modestes
Que tout le monde fuit comme la peste
* * *
Et j’aime le désir et la peur
Ça relance le moteur
Ça donne de la vie à mon existence
Du rythme De la danse
Même si à rien je ne crois
Cela me donne des droits
Jouer des rôles
C’est quand même plus drôle
La représentation
Est ma religion
Et mes costumes
Je les assume
* * *
Je sais ce n’est pas très courageux
D’être aussi facilement heureux
Mais je ne cherche pas la gloire
Je ne veux pas graver mon nom dans les mémoires
Je ne fais pas de bilan
Je n’ai pas de plan
Est-ce que je donne
Non je ne suis pas une âme bonne
Moi je serais généreux
Oui surtout au jeu
Je ne suis pas un comptable
Je ne donne que ce qui n'est pas vendable
* * *
Ici est plein d’amis
Tous en conflit
Mais leurs querelles
Je les trouve belles
C’est dangereux
Eh bien tant mieux
Ma tolérance
Est jouissance
* * *
C’est pour faire durer l’espoir
Que j’arrive souvent en retard
Plus douce est la chute
Avec un parachute
* * *
Tu me dis que de toi je suis différent
Oui ça c’est évident
Nous n’aimons pas les mêmes choses
Nous ne sommes pas issus des mêmes causes
Nous ne sommes pas tous deux des égaux
Non toi tu es bien plus haut
Je n’ai ni ta connaissance
Ni ton expérience
* * *
L’assailli est l’assaillant
Comme l’aimé est l’amant
Ses armes me sont familières
Ce n’est qu’une question de frontières
Par mon adversaire je suis armé
Il est mon égal et mon maître
Il m’apprend vraiment ce que je suis à être
* * *
Veux-tu me dire que nous sommes tous égaux
Oui sauf moi qui suis l’égal du zéro
Je suis la quintessence
De l’in-différence
Tu fais souvent preuve d’amour
C’est du langage un bel atour
Dire l'amour ou la haine
La joie ou la peine
Oui mais tu es franc
Jamais tu ne mens
C'est parce que j'aime la musique
Je n'aime pas le mécanique
* * *
Tu prends les rues pour des traits
Dans la ville tracés
Tu confonds la carte et le territoire
Tu as horreur du contradictoire
Tu ne connais que des raccourcis
Tu ne crois qu’à ce que tu as compris
Tu empruntes les voies les plus courtes
Celles qui ne te laissent aucun doute
* * *
A l’aube tu ne dis pas bonjour
Et quand tu célèbres l’amour
Tu en as peut-être la réminiscence
Mais tu n’en fais pas l’expérience
Si un jour tu le ressens à nouveau
Suspends pour une fois l’usage des mots
Et en cachant à tous sa présence
Rends-le mille fois plus intense
* * *
Tu es comme un filet percé
Qui laisse tout passer
Le monde entier tu accueilles
Sans que tu le veuilles
C’est un gouffre béant
Une gueule de géant
Un œil de cyclope
Comme un télescope
Qui voit plus loin que l’horizon
Qui à l’infini étend sa maison
Mais il n’en est pas le propriétaire
Car c’est un domaine éphémère
* * *
Je pourrais changer d'altitude
Je pourrais changer d'attitude
Prendre l'ascenseur
Renoncer à ma hauteur
Mais alors je verrais leurs visages
Je perdrais mon paysage
Ils auront des yeux et un nez
Je vais trop leur ressembler
* * *
Et l'amour qu'est-ce que tu en fais
C'est mou et c'est sucré
De mon mieux je l'évite
Je n'aime pas l'eau bénite
Je ne suis pas un saint
Pour vivre je n'attends pas demain
Simplement j'assume
Que tous les jours je me consume
* * *
Oui ce que tu ressens
Moi aussi je le ressens
Pourtant je ne crois pas que je t'aime
Car tu n'es jamais la même
Impossible de te définir
Impossible de te saisir
Sans cesse tu te transformes
A aucune règle tu ne te conformes
Et ne pouvant rien prévoir
Je ne peux que rien savoir
Et pourtant de toi je fais l'expérience
Avec une remarquable constance
* * *
Il vaut mieux parler des bienheureux
Plutôt que de nos héros généreux
Il vaut mieux l'inoffensive gentillesse
Que l'inquiétante hardiesse
Et s'agenouiller humblement
Sur de vieux bancs
Que de s'intéresser aux révolutionnaires
Qui voulaient donner un autre visage à la terre
Certes ils n'étaient pas parfaits
Ils ont commis d'impardonnables péchés
Mais ils avaient plus de courage
Que la plupart de nos grands sages
* * *
Moi dans l'autre ou l'autre dans moi
C'est toujours les deux à la fois
C'est dans ce qui divise
Que l'unité se puise
Il me faut remettre sans cesse loin
Ce qui est à portée de main
Et puis l'absorber à zéro millimètre
Sans jamais le reconnaître
* * *
Je ne suis pas si vieux
Je peux encore aoir de beaux gestes
Je peux encore boiter avec élégance
Je peux encore chanter faux
Sans me sentir de trop
Mon dieu quelle chance !
Ivrogne de la dernière tournée
On n’aime pas mes pieds-de-nez
On refrène ma fausse exubérance
On veut à tout prix me lier à ma descendance
* * *
La maison s’écroule
Et pourtant le fou demeure
C’est une bonne boule
* * *
Pardonne-moi
Ou ne me pardonne pas
C’est sans importance
Ce n’est pas de l’indifférence
Car c’est ainsi que je chemine
Par petits bonds et par grands rebonds
Jamais je ne domine
Je n’ai jamais tort car je n’ai jamais raison
Je ne sais qui je suis
Je suis au même carrefour
Depuis toujours
Je cherche un trône
Pour régner sur personne
* * *
Je regarde les regards
Comme s’ils étaient de vrais miroirs
Je n’aime donc que le fragile
La force me paraît trop facile
Je cherche la douceur
Parce qu’elle rime avec chaleur
Je fuis la violence
Parce qu’elle rime avec pense
* * *
Je répétais les mêmes mots
J'espérais qu'ils fussent si beaux
Que le désert ils fécondent
Qu'ils donnent du sens à ce monde
Mais personne ne m'a pris la main
Et seul j'ai continué mon chemin
Je n'attends plus les oracles
Plus besoin de spectacle
La parole n'est plus d'or
Je ne crois qu'en mon corps
Il est immense
Et baigné de silence
Au fond d'un lac il y a un vieux monsieur
Qui maintenant est heureux
Sous cette étendue tranquille
Il a élu domicile
* * *
Ô toi mon ennemi
Mon meilleur ami
C'est sans colère
Que je te fais la guerre
Et si je fais couler ton sang
Ce n'est pas que je suis méchant
Mais c'est que tu m'irrites
En étant sans cesse à ma limite
Je sais ce que tu veux
Tu veux de moi le plus précieux
Tu veux me le prendre
Mais moi je ne fais pas que me défendre
Je jouis de mon agression
Surtout quand elle est sans justification
Mais nous respectons tous deux les usages
Nous n'allons jamais jusqu'au bout du carnage
* * *
La conscience d’être différemment déterminé
Il n’y a pas d’autre liberté
Ce n’est pas de la tolérance
C’est de la surabondance
Pour être tout autrui
Il te faut un bon alibi
Sinon tu seras déclaré coupable
De ne pas être définissable
Pour être vraiment ouvert
N’en ai pas toujours l’air
Tu finirais par toi-même ne plus te croire
A force de te raconter la même histoire
* * *
Je ne mets pas d’autre dans mon Un
Je suis seul sur ce chemin
Dont vous êtes les surprises
Comme de déroutantes balises
Elles mêlent nos pas
Me font changer souvent de voie
Elles élargissent l'immense fenêtre
Qu'est la conscience de mon être
* * *
Soudain voilà que je ris
Soudain voilà que je suis
Je prends conscience
Je suis inconstance
Jamais à moi pareil
C’est cela l’éveil
Impossible à prédire
A la fois le fusil et la mire
Tantôt comme un roi
Tantôt sans la moindre foi
Tantôt dans l’offensive
Tantôt à la dérive
* * *
On voudrait qu’il n’y ait qu’une seule vérité
Et c’est celle que l'on vous a enseignée
Ainsi plus de doutes
Plus qu’une seule route
Il n’y aurait qu’un seul chemin
Celui qui n’en fait pas le sien
Est digne d’indulgence
Mais pas de reconnaissance
Que le point de vue soit différent
Ici n’est pas un bon argument
Quand la conception est totale
Attention la solution devient finale
* * *
il n’y a pas de durable rapprochement
Sans risque d’affrontement
Un couple sans querelles
Est comme sous tutelle
Rien n’est jamais acquis
Rien n’est jamais fini
C’est tendu entre deux pôles
Que tu feras toujours tes cabrioles
* * *
C’est un cadeau empoisonné
Que de toujours les autres aimer
Quand il n’y a aucune alternative
C’est la liberté qui bientôt dérive
* * *
Au royaume de l’unité
C’est toujours le même qui est aimé
Sous mille formes
Tout partout serait au Un conforme
En vérité et c’est heureux
Jamais Un sans Deux
A la fois unique et multiple
De personne tu n’es le disciple
* * *
Exclure un des deux éléments
Vouloir qu'un seul soit important
Que tout soit unitaire
C'est refuser le mystère
C'est refuser l'éternel
Que de refuser le mortel
* * *
Je ne suis pas seulement le grand Un
Je suis aussi son plus proche voisin
À la fois imperceptible
Et tellement sensible
Faisant à moi bravo
Quand je me crois sans ego
Le plus brillant des modestes
Que tout le monde fuit comme la peste
Je suis ce que vraiment je suis
En n’étant pas ce que vraiment je suis
Ce que je veux être
Je ne peux que le paraître
* * *
Cela ne me rend pas meilleur
D’être de tout le Créateur
De vos allégresses
Et de vos tristesses
Je vous en demande pardon
Je ne suis pas un dieu bon
Je n’ai pas de mémoire
Et donc aucune gloire
* * *
Je ne vois pas mes yeux
Comment puis-je savoir qu'ils sont deux
Parce qu'à l'autre je suis identique
C'est quasiment arithmétique
Et je sais que j'ai une bouche et un nez
Parce que toi aussi tu es ainsi fait
C'est une ressemblance
Qui est une évidence
Ce n'est pas par les miroirs
Que sur moi j'ai un savoir
C'est en regardant mes semblables
Je ne suis pas incomparable
* * *
Quand tu me dis que tu n'es pas un objet
Je comprends que je t'ai blessée
Je sais ce qu'est la conscience
Parce qu'en toi je vois au-delà de l'apparence
Et toi aussi tu vas au plus profond
Tu aiguises ainsi ta vision
En ne restant pas à la surface
Tu ne te fies pas uniquement à ma face
* * *
Il y a aussi le côté qui à la vue est masqué
Il cache notre plus cher secret
C'est dans la nuit noire comme une étoile
Qui jamais ne se dévoile
Nous en connaissons le lieu
En nous regardant droit dans les yeux
Nous savons que cette lumière clandestine
A pour nous deux la même origine
* * *
Quand tu te concentres
Sans te sentir du monde le centre
Quand tu restes fixé sur ton objectif
Sans qu'il soit pour toi distinctif
Sans prétention universelle
Mais en lui étant fidèle
Sans précipitation
Mais avec une patiente attention
Alors tu suis ta route
Sans le moindre doute
Tu respectes les autres chemins
En suivant le tien
* * *
Je n'ai pas d'argent
Rien de brillant
Pas de belle apparence
Aucune compétence
Je n'organise pas de réunion
Car je n'ai pas de maison
Je suis toujours en voyage
J'aime les mirages
Et dans le désert
J'aime ce qui est vert
Je n'aime pas le sable
Je préfère ce qui est agréable
* * *
Ce que je te donne
Vient de personne
Alors que ce que je reçois
Vient toujours de toi
Et mon immense gratitude
Vient de ma solitude
C'est comme une prison
Où l'on ne rêve pas d'évasion
Car c'est sans limites
Que le monde sans cesse s'y invite
* * *
Certes il n'y a que maintenant
Mais maintenant n'est pas qu'un néant
Il est aussi plein de toutes les humaines aventures
Il ne connaît pas la censure
Maintenant n'est pas exclusif
Il est à la fois négatif et positif
Il n'y a ni démons ni anges
Mais seulement un vivant mélange
* * *
Je te perçois comme un animal blessé
Qui se sent par tous traqué
Qui à personne ne fait confiance
Pour s'occuper de sa souffrance
Qui ressent comme une intrusion
Le moindre geste de compréhension
* * *
Quand toute mon attention est vers toi tendue
Et que dans l'espace je me sens à l'infini étendu
À la fois dans une parfaite détente
Et ressentant très fort ce qui te tourmente
Alors c'est à la fois un duo et un solo
Et je trouve les gestes et les mots
C'est comme une divine grâce
Devant laquelle je m'efface
* * *
Moi dans l'autre ou l'autre dans moi
C'est toujours les deux à la fois
C'est dans ce qui divise
Que l'unité se puise
Il me faut remettre sans cesse loin
Ce qui est à portée de main
Et puis l'absorber à zéro millimètre
Sans jamais le reconnaître
* * *
Tout au fond d’un trou
Je suis allé jusqu’au bout
Rien ne me sauvera
Je suis tombé bien trop bas
Et pourtant je m’élève je m’élève je m’élève
Mais ce n’est peut-être qu’un nuage un rêve
Très loin au-dessus de moi
J’entends un bruit de pas
J’entends battre mon cœur
Je n’en ai plus peur
Et je remonte à nouveau la pente
Il y a quelqu’un là-haut qui chante
* * *
Je s’est jeté il s’immole
Il ne me reste rien
Il me reste le rien
C’est drôle
Je me sens plein
* * *
C’est ainsi que je chemine
Par petits bonds et par grands rebonds
Jamais je ne domine
Je n’ai jamais tort car je n’ai jamais raison
* * *
Je regarde les regards
Comme s’ils étaient de vrais miroirs
Je cherche la douceur
Parce qu’elle rime avec chaleur
Je fuis la violence
Parce qu’elle rime avec pense
* * *
Pour moi cela est suffisant
Je ne crois qu’en maintenant
C’est la plus belle des grâces
Que cet instant si fugace
* * *
C'est un éternel conflit
Entre ami et ennemi
Et ce que chacun traque
C'est en l'autre le démoniaque
C'est pour me purifier
Que je veux de l'autre me libérer
Mais je n'ai pas de chance
Car vaine est ma persévérance
Il me reste la conscience du jeu
Que nous jouons tous les deux
La lutte est loyale
Elle ne sera jamais finale
* * *
La douceur entre tes mains
Au milieu ce vaste écrin
Cette étrange délicatesse
Que mes yeux caressent
Cette éternelle contemplation
Pleine d'une sublime tension
Et puis impossible à décrire
Ton mystérieux sourire
* * *
Devant ce regard si peu distant
Je me sens heureux comme un enfant
Qui ne se sent pas être une chose
Il ose
* * *
Mon amour change soudain de niveau
Il va de bas en haut
Le feu qui s'allume
Jamais ne se consume
Jamais je ne l'éteins
Car jamais je ne le fais mien
C'est un torrent et un ardent reptile
Il me ravit parce que je reste immobile
* * *
C'est au moment présent
Que je suis ton amant
Ce qui m'élève
Est ce qui jamais ne s'achève
* * *
Ah Tout est enregistré
Dans un grand cahier
Si je savais où il se classe
Je lui ferais de l'espace
S'il peut être détruit
C'est que tout n'est pas inscrit
Je n'écris pas mon histoire
Pour un jour de gloire
* * *
Mon seul regret
Est d'avoir autant aimé
Et qu'après un tel carnage
De n'avoir gardé personne en otage
Car alors par une légitime séquestration
J'aurais pu réussir ma réhabilitation
Mais sous prétexte d'indépendance
Me voilà en pleine repentance
* * *
Il est parti comme il est venu
Il a soudain disparu
Sans laisser de traces
Comme un mirage qui s'efface
Et de tout ce que j'avais enregistré
Ses grimaces et ses pieds-de-nez
Les bouteilles vides
Ses ivresses splendides
Il ne reste rien
En tout cas rien en langage humain
Donc aucune chance
De prouver son existence
* * *
La grande déflagration
Ne sera qu'une énième répétition
Ce ne sera qu'un nouveau voyage
À travers les âges
Seul l'attachement
Nous fait craindre le néant
Ce n'est que le complémentaire
De la divine matière
Ici tout part en fumée
Là-bas un autre monde naît
Même si cela vous dérange
Tout dans l'univers à chaque instant change
* * *
Nous ne cessons de nous séparer
Pour ensuite nous retrouver
Durées et distances
Ne sont que les différences
* * *
Je me souviens de cette maison je devais être dedans
J'y suis entré je ne sais pas comment
Je ne me souviens pas de l'avoir vue de face
Je crois qu'elle avait une très grande surface
Comme un grand hôtel ou un vieux château
Mais sans murailles et sans barreaux
Au contraire il y avait partout des ouvertures
Cela grouillait de monde et d'aventures
* * *
C'est à partir de ce cri
Moi aussi Moi aussi
Que j'accrois ma connaissance
Toujours à partir d'une ressemblance
C'est ainsi que s'étendent les empires
En prenant le meilleur et en imposant le pire
Je veux bien changer de perspective
Si ma visée reste expansive
* * *
Si tu ne veux être que gentil
Et n’avoir que des amis
C’est ta violence
Que tu compenses
Et l’ayant ainsi reniée
Tu l’as ailleurs recréée
Quand on t’agresse
Ce n’est qu’un retour d’adresse
Tu n’es ni mauvais ni bon
Mais tu es mauvais et bon
Ce n’est pas contradictoire
Ni deux répertoires
Tu racontes sans cesse qui tu es
Différent de ce que l’autre est
Ou de ta propre histoire
Inscrite dans ta mémoire
* * *
L'infini se renouvelle
Chaque fois que je chancelle
* * *
Je n’attend jamais demain
Les autres sont son chemin
Ils sont son unique chance
Ils font en toi le silence
* * *
Il n'existe pas de demain
Mais d'innombrables espaces
Et un temps pour que de l'un à l'autre on passe