VOYAGE
Oui c’est vrai j’ai souvent fait ce voyage
Oui c’est vrai j’ai souvent franchi le grand passage
Et j’en suis toujours revenu
Bien qu’à chaque fois ce n’était pas prévu
Mais cela se fait quand même
Peut-être parce que c’est une chose que j’aime
Je veux dire que je l’aime trop
Alors on me fait revenir illico presto
Les gens de là-bas n’aiment pas les touristes
Ils les considèrent comme des fumistes
Pour eux il ne faut pas se contenter de visiter
Mais il faut vraiment s’y installer
C’est vrai que c’est un beau lieu de résidence
Comme il n’en existe pas dans cette existence
Mais c’est aussi un peu ennuyeux
De voir tous les jours tout le monde heureux
Ce n’est pas ce que ça me coûte
De prendre souvent cette route
Ça vaut vraiment le détour
Et c’est un trajet très court
Pas le temps d’admirer le paysage
Il vous suffit de changer d’âge
Et pour revenir il ne s’agit pas de rajeunir
Car là-bas il n’y a ni passé ni avenir
Mais il faut simplement perdre la conscience
Et se laisser retomber dans l’ignorance
Par exemple en pensant beaucoup
On tombe dans un immense trou
Et l’on traverse l’espace
Á la vitesse de la disgrâce
Mais comme je vous l’ai dit
C’est bien mieux ainsi
Dans d’aussi belles demeures
Les visites les plus courtes sont les meilleures
C’est trop bien pour moi
Ou peut-être j’ai l’impression que je ne le mérite pas
J’y parviens toujours par inadvertance
Quand j’oublie mon existence
Quand je suis tellement distrait
Que j’oublie mon intérêt
Quand je me sens être personne
Et qu’au hasard je m’abandonne
Alors je me sens par tout envahi
Et je ne sais plus qui je suis
C’est cela le grand voyage
C’est ne plus voir son propre visage
C’est devenir ce que l’on voit
Et tout ce que l’on perçoit
Ce n’est pas une question de technique
Pas besoin de connaissance scientifique
Car il faut beaucoup de légèreté
Comme à la lumière il faut de la fluidité
Il faut abandonner toute mémoire
Ne plus délimiter son territoire
Et alors on voit tout verticalement
On change radicalement de plan
Mais je le répète ce n’est pas si extraordinaire
Du moins quand on n’a pas une âme de sédentaire
Quand son esprit erre et ne s’attache à rien
Et que l’on perd toujours son chemin
Enfin peut-être qu’un jour j’en ferai ma résidence principale
Un jour de grande fatigue générale
J’ouvrirai vraiment mes yeux
Afin de situer exactement ce lieu
Jean-Paul Inisan, Poèmes de mon nouvel âge, 1998, 2016, Edm. Chemin (éditeur)
ÉCLATS DE MIROIRS, 2019
ÉTRANGER EST L'ÉTERNEL, 2016
L'AUTRE ICI, 2015/
POÈMES DE MON NOUVEL ÂGE, 1998, 2016.
L'OISEAU BLANC, 1990.
DIVAGATIONS SUR LE SILLON
Dérives poétiques à Saint-Malo, 2021 (à paraître...)