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PHILO-CIRCUS - tragi-comédie en deux actes et un épilogue. 

Une joute, qui n'est pas qu'oratoire, oppose violemment deux clowns, deux philosophes et une jeune femme, dans le cadre délabré d'un abri pour civils en temps de guerre. Les coups de sirène intempestifs, suivis de déflagrations de plus en plus violentes, laissent les cinq protagonistes totalement indifférents. Les discours pédants des deux universitaires contrastent comiquement avec le langage déjanté des deux personnages de cirque. Les réactions des uns et des autres sont imprévisibles et créent des situations inattendues, qui ne cessent de surprendre et d'interroger le spectateur (ou lecteur). Le suspense final se terminera par une explosion dévastatrice, qui sera aussi une "énorme" explosion de rires. 
Cette pièce semble tourner en dérision les grandes doctrines de la philosophie et l'enseignement de certains grands maîtres spirituels de l'Inde (et de leurs héritiers occidentaux). Mais, en réalité, c'est pour mieux les mettre en valeur.

Auteur :Jean-Paul Inisan, 100 pages, format 21 x 13,5 cm. Publié aux Éditions l'Harmattan en janvier 2014. Prix :12,50 €. Ce livre peut être commandé en librairie et sur tous les  sites de vente internet : fnac.com,amazon.frdialogues.comdecitre.fr, etc., ainsi que sur le site des éditions (recommandé, plus rapide) : editions-harmattan.fr  Existe aussi en version numérique PDF téléchargeable sur le site des éditions : 9,38 €.- 

 

E x t r a i t s...   

EXTRAIT 1

CLÉO (récitant, comme soudainement inspirée)
De toute façon l’invisible est par nature invisible ! Si quelqu’un pouvait le voir, c’est qu’il ne serait pas vraiment invisible. Donc, c’est clair, la cinquième personne qui est ici, personne ne peut la voir. (criant, menaçante) Vous n’allez pas me dire le contraire, j’espère !

DEUXIÈME PHILOSOPHE (patient, méthodique, pédagogique)
Oui, vous avez sans doute raison mais pourquoi dites-vous : la cinquième personne ?  Ne serait-ce pas plutôt la première personne qui serait invisible ? Et les quatre autres qui restent seraient les personnes visibles ?

CLÉO (agacée)
Un plus quatre ou quatre plus un, ça revient au même, non ?

DEUXIÈME PHILOSOPHE (toujours pédagogue)
Oui, mais un plus un, ça fait combien ?

CLÉO
Vous vous moquez de moi ? Tout le monde sait que un plus un, ça fait deux.

DEUXIÈME PHILOSOPHE (triomphant mais modeste)
Eh bien, tout le monde se trompe ! Un plus Un, ça fait toujours Un.

PREMIER PHILOSOPHE (sarcastique)
Sophisme de mystique ! Un et un font deux, c’est facile à vérifier. Ce qui est simple est vrai.

DEUXIÈME PHILOSOPHE (patient, pédagogue)
Il ne faut pas se fier à l’expérience commune. Nos sens nous trompent souvent et nous avons besoin d’aller au-delà des apparences pour connaître la vérité. Un plus un égale deux, c’est valable pour les objets. Mais si vous additionnez deux premières personnes, qu’est-ce-que vous obtenez ? Vous obtenez la première personne du pluriel, donc toujours une unité.

CLÉO (criant)
Arrêtez, vous m’embrouillez, je ne comprends rien à vos histoires et elles ne m’intéressent pas ! Ce qui m’intéresse, c’est cette personne que je ne peux pas voir. Mais, j’y repense, vous n’avez pas répondu à ma question tout à l’heure : si je ne peux pas la voir je peux peut-être l’entendre, non ?

 

EXTRAIT 2

PREMIER CLOWN (criant)
Vous n’avez pas le droit !

Il fait le geste de frapper Cléo pour la dissuader. Le Premier Philosophe bondit pour s’interposer et c’est lui qui reçoit le coup. Vexé et en colère, il tente de répliquer mais le Deuxième Philosophe l’en empêche. Il s’ensuit une bagarre générale de laquelle Cléo parvient à s’extraire.

Elle sort soudain de son sac de plage un grand pistolet et tire un coup de feu en l’air. Ils arrêtent de se battre, pétrifiés.  Menaçante, elle  pointe son arme vers le groupe. Ils lèvent tous les mains en l’air.

CLÉO (hurlant, d une voix méconnaissable)
Et maintenant fini de rigoler !  Vous allez me dire tout de suite où elle se trouve !

DEUXIÈME PHILOSOPHE  (balbutiant)
Mais, mais… qui ?... qui ?... De qui  parlez-vous ?

PREMIER PHILOSOPHE (autoritaire,)
Oui, et arrêtez de nous menacer. Baissez donc cette arme qui ne vous sied guère !

CLÉO (inquiétante)
Ne bougez pas ! Vous savez bien de qui je veux parler ! Vous avez intérêt à parler, sinon (elle fait un geste du tranchant de la main) vous y passerez tous.

Hurlement de la sirène, explosions et cris très proches. Lumière tremblotante. Indifférence des personnages.

PREMIER CLOWN
Je vous l’avais dit, elle est capable de tout, cette femme ! Il faut construire des grandes murailles entre elle et nous !

DEUXIÈME CLOWN (récitant gravement)
Elle est la femme idéale.

PREMIER CLOWN (familier)
Dis-nous clairement ce que tu veux.

CLÉO (déterminée)
Tu le sais très bien ce que je veux !

PREMIER CLOWN (toujours familier)
Là non, tu vois, je ne vois pas !

CLÉO (s’impatientant)
Tu me prends pour une imbécile ou pour une folle ?

PREMIER CLOWN
Euh… pour une… pour…euh… rien

CLÉO (criant)
Bon, maintenant, suffit ! Vous allez me dire où vous la cachez.

DEUXIÈME PHILOSOPHE (doucereux, bienveillant)
Où voulez-vous que l’on cache quelque chose ici ? Tout est vide ici, il n’y a aucun endroit où une personne pourrait se cacher ici !

CLÉO
Tout en surveillant ses prisonniers, elle fait le tour de la pièce en examinant successivement plusieurs endroits.
Ici rien ! Ici rien ! Ici rien !...

Bizarre, bizarre, là où il devrait y avoir quelqu’un, il n’y a personne !

Elle revient vers les autres, méfiante, menaçante..

PREMIER PHILOSOPHE (apaisant)
Allons, ma chère Cléo, calmez-vous. Qu’est-ce qui vous prend ? Je ne vous reconnais plus. Vous si douce et si sensuelle, vous vous comportez comme une vulgaire terroriste !

DEUXIÈME CLOWN (récitant)
Elle est idéale.

CLÉO (cassante, s’adressant au Premier Philosophe)
Taisez-vous, vous ne savez pas de quoi vous parlez ! Vous ne me connaissez pas ...

 

EXTRAIT 3

Coups de sirènes, explosions, cris.

CLÉO (hurlant, ne se contrôlant plus)
Dépêche, dépêche, (suppliant) n’attends plus, je t’en prie, ou je vais être obligé de te… (elle mime le geste de tirer, sa main tremble de plus en plus)

PREMIER PHILOSOPHE (précipitamment)
Oui, oui, voilà, ça vient, je sais où elle est.

CLÉO
Elle est ici ? Pas de blague, hein ?

PREMIER PHILOSOPHE
C’est-à-dire que… (observant, inquiet, la nervosité de Cléo) Oui, oui, oui, oui, elle est ici.

CLÉO (sur le ton de la réprimande)
Eh bien appelle-la alors ! Allez, dépêche-toi de l’appeler !

PREMIER PHILOSOPHE (décontenancé)
Mais, mais…

CLÉO
Appelle-la, je te dis. (hurlant) Dépêche-toi.

PREMIER PHILOSOPHE (plaintif)
Mais, mais… je ne peux pas l’appeler !

CLÉO (surprise, agacée)
Comment ça, tu ne peux pas l’appeler ?

PREMIER PHILOSOPHE
Je ne connais pas son nom.

CLÉO (s’apaisant un peu)
Tu en es certain ?

PREMIER PHILOSOPHE
Oui.

Cléo a l’air satisfaite de la réponse donnée.

CLÉO (calme, apaisée)
C’est bon, je te crois, tu peux te relever maintenant.

Elle lui fait signe de baisser les mains. Elle s’écarte du Premier Philosophe en le regardant avec sympathie. Il se relève et baisse les mains prudemment, comme s’il craignait qu’elle se ravise. Elle se tourne et pointe son arme vers les trois autres, toujours à genoux.
Mais (menaçante) vous, vous devez certainement connaître son nom !

DEUXIÈME CLOWN (récitant béatement)
C’est la femme idéale.

PREMIER CLOWN (sur le ton de l’évidence)
Vous voyez bien qu’il n’y a que nous cinq ici !

CLÉO (agacée et glaciale)
En ce qui me concerne, je ne vois que quatre personnes ici.

PREMIER CLOWN (appliqué)
Euh, je compte pour vérifier (désignant chaque personne avec son index, sans bouger les autres doigts, les mains toujours en l’air) : un, deux, trois, quatre, cinq. Il y a bien cinq personnes ici.

CLÉO (catégorique)
Il y en quatre et pas une de plus !  Et toi (s’adressant au Deuxième Philosophe), combien tu comptes de personnes ici ?

DEUXIÈME PHILOSOPHE  (prudent)
Euh… cinq, cinq ! Je crois bien qu’on est cinq ici.

CLÉO (indignée)
Ma parole, ils sont tous aveugles ici ! A moins qu’ils ne soient déjà morts ! (s’adressant soudain au Deuxième Clown sur un ton amical) Et toi, César, réponds franchement : combien vois-tu de personnes ici ?

DEUXIÈME CLOWN (sans hésiter)
Une.

CLÉO (surprise)
Une ? Une seule ?

DEUXIÈME CLOWN (triomphant)
Oui. Une, une seule !

CLÉO (souriante, intéressée mais sans plus)
Ah, intéressant !  (s’adressant au Premier Philosophe) Et toi ?

PREMIER PHILOSOPHE
Euh… (faisant mine de réfléchir puis se précipitant)  Quatre, comme vous, quatre, c’est clair, on est quatre ici !

 

EXTRAIT 4

CLÉO (amusée mais toujours menaçante)
Ouais, c’est un peu trop facile et surtout bien trop tard ! Vous n’allez pas vous en tirer comme ça, mes cocos ! Allez, debout maintenant et montrez-moi où elle est ! (Ils se lèvent tous les deux, toujours les mains en l’air)

DEUXIÈME PHILOSOPHE
C’est que, c’est que… (précipitamment) en fait, je pense que cette personne est invisible.

PREMIER CLOWN (triomphant discrètement)
Oui, c’est cela, elle est invisible. Personne ne peut la voir.

CLÉO (l’air surprise et amusée mais toujours menaçante)
Pas mal comme explication mais il va me falloir des preuves.

PREMIER CLOWN (inquiet)
Si elle est invisible, ça ne va pas être facile !

CLÉO (s’exclamant vivement)
Je veux bien qu’elle soit invisible ! Mais vous n’allez pas me dire qu’en plus elle est muette, non ?

Le Premier Clown hoche la tête, comme s’il voulait signifier quelque chose.

DEUXIÈME PHILOSOPHE (sur un ton d’expert)
Le problème, c’est qu’il n’y a que vous qui ne pouvez pas la voir ici.

 

EXTRAIT 5

DEUXIÈME PHILOSOPHE (passionné et  pédagogique)
Moi, je n'existe que dans le présent. Le futur n'existe pas pour moi. Même si un projet me tient à cœur, de toute manière je sais que je le construis maintenant. « Je veux être le meilleur » est une pure représentation. « Je me prépare maintenant à être le meilleur demain » est réel. Vivre par procurationdans des projets est complètement idiot et cette illusion repose sur l'illusion. L’illusion de l’illusion !

PREMIER PHILOSOPHE  (sur le ton du bilan)
Nous sommes ici, donc cela explique le besoin de chercher une raison d'exister !

DEUXIÈME PHILOSOPHE  (se fâchant soudain)
Ici ? Eh bien c’est complet, ça ! C’est vous qui me dites où je suis ! Dites-moi que je rêve ! Si je suis ailleurs qu'ici, comment vous pouvez le savoir, vous ? Je sais, vous allez trouver toutes sortes d'échappatoires en disant que je vous manque, donc un "besoin" qui vous donnera une raison d'exister pour le futur.

Nous sommes tous ici et seulement ici. Donc nous n’avons pas besoin de chercher une autre raison d'exister. Tout ce qui nous est nécessaire est ici, voilà tout. Il n’y a qu’à se servir, voilà tout ! La Vie envahit tout ici. (catégorique) La rose est sans pourquoi !

PREMIER PHILOSOPHE (détaché)
La vraie couleur de la fleur est différente suivant celui qui perçoit la fleur.

La sirène se met à hurler, et on entend des explosions et des cris. Les personnages semblent ne rien entendre.

DEUXIÈME PHILOSOPHE (précieux, déterminé)
La rose n’a pas de raison d’être et, pourtant, elle exhale un parfum délicieux.

 

EXTRAIT 6

DEUXIÈME PHILOSOPHE (catégorique)
Seul existe le présent ! Concrètement, vous ne pouvez faire que l’expérience du présent. Le futur et le passé, vous pouvez seulement y penser. Vous ne pouvez pas les vivre !

PREMIER PHILOSOPHE
Et quand vous aurez mal, que penserez-vous ? Vous penserez à sortir de ce présent-là où vous vous sentirez mal. Vous chercherez les moyens pour en sortir !

DEUXIÈME PHILOSOPHE  (sûr de lui)
C’est faux, je maintiendrai mon attention sur le maintenant.

PREMIER PHILOSOPHE  (ironique)
Si ce qui produit votre douleur est grave, alors vous en mourrez.

DEUXIÈME PHILOSOPHE (détaché)
Ce n’est pas grave !

PREMIER PHILOSOPHE  (surpris)
Comment ça, ce n’est pas grave ?

DEUXIÈME PHILOSOPHE
Je suis déjà mort !

PREMIER PHILOSOPHE (s’exclamant, surpris)
Comment ça, vous êtes déjà mort ? Je vous vois très vivant  ici devant moi ! Vous ripostez vivement à chacun de mes arguments. Au contraire, vous faites preuve d’une pugnacité remarquable. Vous êtes tout ce qu’il a de plus vivant !

DEUXIÈME PHILOSOPHE (convaincu)
Ici, exactement à l’endroit où je me trouve, je suis déjà mort, je vous le dis. Je le sais.

PREMIER PHILOSOPHE
Intrigué, il s’approche du deuxième philosophe, le pousse doucement pour le faire se déplacer puis il examine l’endroit où il se trouvait.
L’endroit où vous vous trouviez n’a rien de spécial. Et maintenant vous sentez-vous mieux ?

DEUXIÈME PHILOSOPHE (riant doucement)
Ça n’a rien changé ! Je suis toujours ici.

PREMIER PHILOSOPHE (l’air soucieux)
Oui, mais ce n’est plus le même ici que tout à l’heure !

DEUXIÈME PHILOSOPHE (toujours amusé)
Mais si, mais si, il n’y a aucune différence, je vous assure ! C’est exactement le même ici que tout à l’heure !

PREMIER PHILOSOPHE (lui prenant délicatement la main  et l’amenant, avec précaution,  jusqu’à l’autre bout de la pièce)
Et maintenant ?

DEUXIÈME PHILOSOPHE (sur le ton de la constatation)
Maintenant je suis toujours ici. Pas de changement en vue !

PREMIER PHILOSOPHE (de plus en plus soucieux)
Mais, enfin, reconnaissez-vous que vous avez changé de place ?

DEUXIÈME PHILOSOPHE (s’efforçant de bien se faire comprendre)
Je reconnais que vous m’avez vu changer de place et que s’il y avait eu un miroir dans la pièce j’aurais vu effectivement quelqu’un dans le miroir en train de se déplacer. Mais je vous assure qu’ici, moi, à l’endroit exact où je me trouve, je n’ai jamais changé de place ! De ma vie je n’ai d’ailleurs jamais changé de place. J’ai toujours été ici, à zéro millimètre de ce corps (Il désigne son corps). Imaginez que ce corps soit un navire. Ce navire, il ne cesse de se déplacer, c’est vrai ! Mais ici, le poste de commande que je suis est toujours exactement à la même distance de n’importe quel autre endroit du bateau.  

PREMIER PHILOSOPHE
Oui, et alors ? Vous êtes sur un vaisseau qui se déplace, donc vous vous déplacez aussi ! C’est évident !

DEUXIÈME PHILOSOPHE
Pas du tout ! Tout danse autour de moi et c’est formidable, c’est vrai ! Comment vous expliquer ? (se concentrant pour trouver un exemple). Par exemple, quand vous êtes assis dans un train, c’est le défilement du paysage qui vous donne l’impression de vous déplacer. Ou alors si vous devez vous lever pour satisfaire une envie pressante vous ne parviendrez jamais jusqu’aux toilettes. Vous y parvenez parce que le train ne bouge pas. C’est le paysage, en réalité, qui se déplace et qui ne cesse de changer ! C’est pareil quand vous conduisez une voiture. Ce n’est pas la voiture que vous conduisez, c’est le paysage que vous conduisez, et parfois à une vitesse qui peut être très dangereuse pour vous car vous pouvez l’amener à vous percuter violemment.  Mais vous, vous ne bougez pas, vous ne changez pas. Vous ne bougez pas, vous n’avez jamais bougé de votre vie ! 

 

EXTRAIT 7

PREMIER PHILOSOPHE
Je vois votre visage. Il est très expressif, très vivant ! Je vois bien que vous existez !

DEUXIÈME PHILOSOPHE
Oui, mais moi, ici, je ne vois pas mon visage. Dieu merci, je ne vois que le vôtre et je le trouve très beau (il sourit avec ravissement).

PREMIER PHILOSOPHE
Et pas expressif ?

DEUXIÈME PHILOSOPHE
Pas spécialement, non !

PREMIER PHILOSOPHE (avec une expression agressive)
Et maintenant ?

DEUXIÈME PHILOSOPHE (serein)
Il est toujours très beau !

PREMIER PHILOSOPHE (en hurlant)
Et si je vous dis : espèce de mystique hypocrite et irréaliste !

DEUXIÈME PHILOSOPHE  (souriant, imperturbable)
Rien ne change. Tout est tranquille ici.

PREMIER PHILOSOPHE (ironique)
Oui, c’est cela, rien n’existe, là où vous êtes !

DEUXIÈME PHILOSOPHE
Si, vous, vous existez !

PREMIER PHILOSOPHE
Vraiment ! Et si je vous frappe comme ça (il le gifle doucement du revers de la main), vous n’existez toujours pas ?

DEUXIÈME PHILOSOPHE (visiblement vexé mais ne voulant pas le paraître)
N… non…, je… je…, ça ne me touche pas ici, je ne sens rien ici !

PREMIER PHILOSOPHE (giflant plus fort)
Et là, vous sentez quelque chose ? Ne sentez-vous pas que vous avez un visage là où vous êtes ?

DEUXIÈME PHILOSOPHE (ne se retenant plus et ripostant par une gifle retentissante sur le visage du Premier Philosophe)
Le vôtre est tout rouge maintenant !

PREMIER PHILOSOPHE (interloqué, posant vivement la main sur sa joue, parvenant – difficilement – à se contrôler)
Mais ! Je croyais que… (soudain triomphant)  La violence de votre réaction prouve clairement que vous existez bien là où vous êtes !

DEUXIÈME PHILOSOPHE (à nouveau souriant, calme)
Ce n’est pas ce que je suis vraiment qui l’a fait !

PREMIER PHILOSOPHE (fâché)
Comment ce n’est pas vous ? Je l’ai bien senti, votre gifle, ce n’était pas une caresse ! Et elle venait bien de vous ! Vous me prenez pour un imbécile ?

DEUXIÈME PHILOSOPHE (sur un ton docte)
C’est votre propre violence qui s’est retournée contre vous, c’est tout !

PREMIER PHILOSOPHE (véhément)
C’est vous, c’est votre langage qui est violent !  Vous parlez tout seul, vous n’écoutez pas les autres ! Vous voulez rester tout seul sur votre île et contempler le monde de loin, sans vous y impliquer personnellement.

DEUXIÈME PHILOSOPHE
Mais je ne ressens pas la moindre haine pour vous. Au contraire…

PREMIER PHILOSOPHE
Oui, vous vous attribuez généreusement le rôle de l’ange et à moi, vous ne me laissez que le choix du démon. Bon, soit, vérifions cela (se jetant sur l’autre en hurlant)

Ils se battent, roulent par terre en criant et en s’insultant.

 

EXTRAIT 8

PREMIER CLOWN
Je sais de quoi je parle. Je sais ce que cette fille a fait dans le passé et ce qu’elle est capable de faire encore !

DEUXIÈME PHILOSOPHE (tranchant)
Ce qu’elle a fait ne signifie rien de ce qu’elle est vraiment !

PREMIER PHILOSOPHE (stupéfait)
Quoi ? Que dites-vous, mon ami ? Une personne est ce qu’elle fait et rien d’autre !

DEUXIÈME PHILOSOPHE
Et le pardon alors ? Quand vous pardonnez, vous oubliez ce que la personne a fait dans le passé. Sans pardon nous ne faisons que répondre à la violence par la violence. Pardonner, c’est couper l’engrenage de la violence !

PREMIER PHILOSOPHE (ironique)
Oui, on ne coupe que ce qui est coupable ! Mais je ne vois personne ici qui serait coupable de quoi que ce soit ! Dommage pour vous, car s’il n’y a pas de coupable, il ne peut pas y avoir  de pardon ! Personne à qui donner généreusement l’absolution pour ses péchés !

DEUXIÈME PHILOSOPHE (compatissant)
(Désignant le Premier Clown) Il est coupable d’avoir agressé cette jeune fille. Mais je lui pardonne, je lui pardonne. A condition qu’il ne recommence pas, bien sûr !

PREMIER PHILOSOPHE (ironisant)
Ah, il y a des conditions ? Votre pardon n’est pas inconditionnel !

DEUXIÈME PHILOSOPHE (sur un ton vif)
Vous me prenez pour un idiot ! Vous savez bien que si vous me frappez sur une joue, je vous frapperai aussitôt sur l’autre.

PREMIER PHILOSOPHE (reculant prudemment)
Oui, oui, j’ai pu le vérifier par moi-même. Votre conception du pardon est vraiment très réaliste ! Mais je ne vois toujours pas en quoi notre ami serait coupable.

DEUXIÈME PHILOSOPHE
Alors pourquoi vous-même êtes-vous intervenu pour défendre Cléo ?

PREMIER PHILOSOPHE (s’esclaffant)
Voulez-vous dire que c’est parce qu’il était coupable qu’il a agressé Cléo? C’est sans doute sa nature coupable qui l’a poussé à la violence. Voilà bien le raisonnement réactionnaire, par excellence !  Les coupables n’ont qu’à accomplir leur destin de coupable pour qu’on puisse ensuite soit les punir, soit leur pardonner ! C’est selon le bon vouloir du prince !  Excusez-moi mais votre pardon a un fort goût de pouvoir !

DEUXIÈME PHILOSOPHE (citant)
La justice sans la force est impuissante, la force sans la justice est tyrannique.

PREMIER PHILOSOPHE
Oui, mais comment savoir quand l'usage de la force est légitime ?  (réfléchissant, se parlant à lui-même en aparté) Oui, la justice des conservateurs ne peut être qu’une justice immanente ! Ainsi il n’y a plus de responsabilité et ils peuvent jouer tranquillement leur rôle d’oppresseur !

PREMIER CLOWN 
Tu es vraiment trop pessimiste, toi ! On est parfois obligé de se faire justice tout seul, sans rien demander à personne !

DEUXIÈME PHILOSOPHE (réprimandant avec douceur)
Ne dis pas cela !

PREMIER CLOWN (s’énervant)
Mais si je le dis, ça fait quoi ? Vous m’énervez tous à la fin, avec vos leçons. Moi, j’essaye de vous rendre service en vous montrant la vérité, c’est tout !