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RÊVES DE CYCLOPE

Ce livre a été écrit sur le mode singulier de « l’écriture automatique », c’est-à-dire sans intervention de la volonté et de la conscience. Les textes, qui ont jailli de l’inconscient du poète, ont été ensuite légèrement modifiés afin de leur donner un minimum de cohérence qui les rende lisibles. Il en subsiste cependant un hermétisme mystérieux qui peut déranger, interpeller ou/et produire un effet hypnotique sur le lecteur. C’est que, malgré la diversité des sujets abordés dans les 115 poèmes publiés dans cet ouvrage, l’ensemble est traversé par le regard étrange d’un cyclope dont l’œil unique ne s’accommode guère de la vision double des « binoculaires de la Terre ». Sous une forme décousue qui peut parfois dérouter, l’auteur évoque ainsi les aléas cruels d’une dualité humaine qui est source de souffrance mais aussi d’une créativité foisonnante, permettant au poète de mêler des souvenirs passionnés et des fantasmes délirants à d’impressionnants rêves dystopiques. Le tout finissant par composer une sorte de mosaïque initiatique dont le pouvoir secret mènera peut-être son créateur (et les lecteurs ?) au seuil de cette unité de vue et de vie à laquelle son ami (et ennemi) « N’a qu’un œil » lui reproche d’avoir renoncé.
Extraits de Rêves de cyclope ci-dessous.

Auteur : Jean-Paul Inisan - éditeur : Edmond Chemin (Traverses), juin 2022 - disponible en librairie et sur les sites de vente internet (FNAC, Amazone, Decitre, etc.) - 228 pages - format 12 x 19 cm - Prix : 13 euros. ISBN 979-10-95638-16-2  

 

 

E X T R A I TS 
d e 
R ê v e s  d e  c y c l o p e
d e   J e a n - P a u l   I n i s a n

 
 

L’œil unique de la lune ne s’est pas beaucoup modifié
Durant ces derniers millénaires.
Elle observe rêveusement,
Comme un cyclope impassible, 

Les binoculaires agités de la Terre
Qui ne parviennent jamais à converger.
Ils divisent systématiquement
Tout en Deux et même davantage.

 

Les lumières de la nuit se sont éteintes
Et les laboureurs fatigués se sont endormis
Dans les sillons profonds
Qui alternaient les jours de plein soleil et les pluies abondantes.
Les oiseaux qui striaient le ciel de leurs visages de chérubins aux becs acérés
Piquaient vers les fenêtres ouvertes des villes
Que des nuages gris assombrissaient.
Mais c'était entrelardé de cratères de lumières,
C’était bordé de lampadaires inutiles mais beaux,
Que les passants s'arrêtaient pour contempler
Et qui jalonnaient leur parcours.
Celui qui les amenait aux boisseaux de l'horizon mauve
Qui semblait flotter au loin, vapeur floue au-dessus des maisons aux toits rouges,
Et des rivières bleues convergeaient vers ce point de rencontre secret
Auquel les humains ordinaires n'avaient pas accès.
Il jaillissait de ces fontaines profondes
Des sources d’écume blanche
Et je m'attendais toujours aux éclairs inattendus des orages silencieux
Que seuls les enfants pourraient voir
Avec leurs grands yeux sans frontières.

 

Ce cortège interminable d'âmes désespérées
Me désespérait.
Ce n'était même plus un cortège,
C'était comme une retraite militaire
Suite à ce genre de défaite dont on ne se remet jamais.
J'avais beau créer des allées claires bordées de haies finement taillées,
Je m'égarais toujours dans des chemins de traverse où je ne cessais de rencontrer tous ces gens qui me ressemblaient.
Les chaos auront toujours tort face à l'ordre monumental des systèmes qui ont fait leurs preuves au cours des siècles.
Ne croyez pas en ce que je dis.
En fait, j'ai pris beaucoup de plaisir à donner du sens au désordre.
Je l'ai fait malgré lui, car il y a quelque chose en moi qui est unique et unitaire,
Que je ne pouvais retrouver qu'en m'abandonnant, qu'en abandonnant tout espoir,
Sauf celui d'avoir encore de l'espoir.
L'avenir m'ouvrait ses bras musclés
Et, en même temps, il me crachait au visage.

 

Les palmiers se balancent doucement sous le souffle chaud du vent qui vient du Sahara.
Au loin un dromadaire blatère.
Sur les flancs de la ville torride,
Des mendiants à demi nus se sont écharpés
Et cela m'a rappelé le goût des batailles passées,
Quand l'horizon du soir ne faisait pas encore de plis
Dans les costumes gris-clair de l'hiver larmoyant,
Que je retrouvais au-delà des mers lointaines,
Que je ne connaissais qu'à travers un fossile magique,
Celui qui m'avait été donné par je ne sais quelle princesse des temps futurs.
Et le coucher du soleil m’offrait sa palette de nappes mêlées de couleurs fondues,
Entre les oranges sanguins et les violets bleutés.
Grosse boule bien ronde qui émanait des milliards de billes de lumière microscopiques,
Empêchant ainsi le manteau de la nuit de couvrir totalement le ciel.
Toi, tu arrivais sur ton cheval blanc avec tes airs de déesse qui me laissaient pantois.
Je ne voyais pourtant que tes yeux.
Tes yeux étaient uniques
Et moi, j'étais multiple.
Le foulard qui enveloppait ta chevelure brune
Brisait la ligne droite de l’horizon dénudé par la lumière,
D’où dégringolaient d’imperceptibles myriades de poussière
Qui préfiguraient les nuées
Voguant au-dessus des plaines et des petites montagnes.
Elles traversaient silencieusement ce pays sans frontières précises.

 

Ainsi va le train fou de mes désirs et de mes peurs
Il embarque avec lui toutes les scories du cœur
Je ne nie pas la puissance du soleil mêlé aux nuages
C'est ainsi que je perds conscience de mon visage

Et que je me mets à écrire des phrases et des mots
Qui font de ma vie un beau mais anonyme tableau
Je ne crois pas en la résurrection de mon âme
Pourtant seul subsistera de moi ce qui résistera aux flammes

 

C'est à la fois le début et la fin d'un chemin
Personne ne me dira que ce n'est pas le mien
Mais il y a des voyages qui sont inclassables
Ce sont ceux qui ne sont pas identifiables


 

Les arbres défilaient à grande vitesse des deux côtés de mon véhicule et ma passagère était ébahie de découvrir que tous ces paysages se déplaçaient ainsi.
Des lieux non nommés nous visitaient
Et nous n'avions juste qu'à éviter de nous frotter aux tonneaux qui roulaient sur le bord des routes malmenées par les intempéries des dimanches délavés.
Nous arriverions ainsi à bon port si des vents lunaires ne se levaient pas pour nous diriger vers des impasses philosophiques qui nous obligeraient à rebrousser chemin et à faire amende pas toujours honorable.


 

J'agiterai au-dessus de ma tête les bouteilles vides de mon ennui
Pour faire croire à l'ivresse des prétendus exploits qui auraient forgé mon destin soi-disant tragique.
Le lyrisme débridé de mes pensées m'inspirera des discours charismatiques
Qui enflammeront des foules de pèlerins laïques rassemblés pour pratiquer les rites païens
De l'hyperconsommation massive,
Celle qui leur procure des transes inoubliables
Qui deviendront des souvenirs
Qu'ils pourront capitaliser dans leur mémoire.


 

C’est vrai, la lune est ronde.
Oui et elle n’est pas pudibonde !
Elle s’expose à tous les regards
Sans jamais avoir honte,
Elle n’a pas honte d’être aussi nue.
C’est pourtant une véritable exhibition,
C’est un paysage de désolation,
Un décor de méditation.
Pas une plante, pas un ver, pas un arbrisseau,
Rien à se mettre sous les yeux !

C’est une mauvaise mère.
Oui, mais c’est un bon re-père,
C’est comme un signe de ralliement,
Un phare blafard
Dans la nuit noire
De nos errances inconscientes
Qui nous entraînent de plus en plus loin
Sur des chemins de plus en plus inconnus
Où des déserts arides
Alternent avec des forêts luxuriantes,
Avec des océans séculaires
Remplis d’îles magiques
Aux criques transparentes
Où je plonge silencieusement,
Où je nage tranquillement.

C’est le calme avant la tempête,
C’est la joie paisible avant la délivrance.
Je rejaillirai ensuite dans un océan d’étoiles
Qui m’accueilleront comme un fils prodigue
Qui revient enfin à son origine.


 

Entends-tu, créole, entends-tu parfois, toi l’indigène,
Toi le vrai habitant de ces terres authentiques,
Entends-tu la crécelle indécise des voiles mondaines
Qui dégringolent sur les pentes vertigineuses
Exposées à un soleil ardent
Qui les chauffe jusqu’aux dents ?

Vois-tu la flamme dansante dans les yeux des enfants
Qui font une ronde autour des restes d’humanité
Que l’on trouve parfois dans les champs urbains ?
Des champs d’honneur qui étalent leurs sillons sanglants
Et la foule se prosterne pour adorer les héros
Qui se sont sacrifiés pour des jours meilleurs.

Mais cela n’empêchera pas les ports de continuer à naviguer
Sur les vastes océans d'antan et de s’arrimer
À de vieux bateaux surannés
Qui les recevront comme des princes de la mer déchus.
Déchus mais tout de même respectés, reconnus
Pour les itinéraires gravés sur leurs fronts d’aventurier.

Même les foules d’esclaves
Sur lesquelles ils ont jadis vogué royalement
Profitent aujourd’hui de la richesse qu’ils ont dispensée.
Dispensée souvent malgré eux il est vrai,
Mais il est vrai aussi que l’Histoire
N’emprunte pas qu’une voie noble
Pour monter ensuite dans la mémoire collective qui la sacralisera.

 

 

La nuit tombée, des armées stellaires s’affrontent
Dans une débauche de lumière
Où tout le monde ne voit que du feu.
Personne ne voit que des conflits lointains se cachent
Sous cette harmonie apparemment immobile,
Pétrifiée autrefois par la distance
Et aujourd’hui par le temps.

Personne ne voit que la route des cieux
Est une roue édentée pareille à une vieille sorcière
Qui est aussi une fée qui nous fait les yeux doux.
C’est un fond d’amour et de souffrance
Qui se dévoile quand on veut bien lever les yeux.
Les lever bien plus haut que l’horizon bleu
Qui ne cesse de voyager à travers les intervalles
Des rythmes universaux qui sont comme des partitions,
Lisibles seulement par quelques initiés
Et encore juste pendant quelques instants.


 

La nuit est tombée
Le jour s'est levé
Les planètes ont tourné
La ville s'est réveillée
Les lampadaires se sont éteints
Les premiers chiens
Sur les murs crus du réveil-matin
Des ombres dans des recoins
Les tremblotements blafards
De la lune surprise
Derrière son nuage de poussière grise
N'ont pas donné envie aux passants de se saluer

Il faisait trop froid
Il faisait trop triste
On ne pouvait se dévoiler de si bonne heure,
Montrer le meilleur de soi alors que tout est toujours à demi endormi.
Pourtant, les yeux glauques des gargouilles qui ornent les basiliques et les cathédrales étaient déjà bien ouverts.

 

 

Des corps que j'ai visités,
Des corps que j'ai sentis,
Des corps que j'ai ressentis.
Et les manèges tremblotants des mains fébriles que je ne parvenais pas à contrôler tout à fait
Étaient comme des flammes qui dansaient dans mon cœur
Sans que je sache d'où venait ce feu incendiaire que je n'avais jamais demandé.
C'est lui qui me donnait cette fièvre qui embrasait mon esprit et je ne savais plus alors ce que j'écrivais.

Ce que j'écrivais venait d’ailleurs, je ne pouvais pas l'accepter comme venant de moi.
Il m'était impossible de croire en la réalité de ces éclairs qui ne cessaient de traverser l'arène de ma vie
Comme des destriers chevelus
Qui traversaient en transparence
Les beaux  vitraux de mes espoirs
Qui avaient jusque-là tous été déçus.


 

Soyons humbles,
Mettons le tablier des domestiques, des valets, des servantes,
Endossons les uniformes des militaires,
Parons-nous des plumes de la noblesse !
C’est ainsi que nous verrons le mieux ce qui fait vraiment de nous ce que nous sommes vraiment.

 

Je me demande toujours pourquoi les gens t'aimaient tant.
Bien sûr, tu étais très belle, mais tu affichais si clairement ton détachement de tout
Que tout le monde aurait dû comprendre tout de suite qui tu étais !
Tu ne voulais pas d'une maison confortable,
Tu ne voulais pas d'enfants affectueux,
Tu ne voulais pas une superbe auto
Ni d'un yack magnifique,
Tu ne rêvais pas d'une croisière festive
Ni d'un séjour au club Méd.
Seule ta liberté te semblait importante.
Mais c'est tout de même peu dire, car tu étais carrément cette Liberté,
Qui était comme l'impossibilité totale de t'attacher à quoi que ce soit, à qui que ce soit.
Pourtant, il y avait tellement d'amour dans tes yeux…

 

 

Les vaisseaux royaux chargés d'or et d'encens
Embarquent nos aspirations les plus profondes vers des lointains brillants qui luisent,
Au fond d'un œil nocturne infiniment étoilé.
C'est là que se trouve notre vérité.
Je vous le dis : il n'y a plus de passé là où il n'y a que de l'in-fini.

 

 

Oui, je sais, des enfants sont morts sous des bombes qui n'étaient pas glacées.
Elles étaient même brûlantes de haine et c'est cette haine qui a tué.
Qui a tué l'innocence.
Et le monde a affiché une fausse compassion en masquant sa passivité coupable
Face aux bourreaux ironiques si fiers,
Souriant d'être si beaux, souriant d’être si forts,
D’être si bien armés,
D'être si nobles,
D’être si civilisés.

La nuit est tombée sur les décombres fumants
Et je ne vois rien à travers les brouillards du passé qui pourraient un jour ouvrir les portes de l'avenir.
Le soleil reste noir malgré la rougeur sanguine qu'il répand sur tous les fronts fiévreux de la guerre.

Le jour venu, nous entendrons à nouveau les oiseaux carnassiers foudroyer leurs proies désarmées.
Et le monde se moquera de la souffrance infligée à ceux qui n'ont rien fait que naître au mauvais endroit.
Ils sont nés à la croisée de tous les chemins, de tous les dangers.
Ceux des croyances organisées en croisades sanglantes
Qui enfermeront de plus en plus de monde dans des territoires de plus en plus étroits
Si bien qu'il sera impossible de ne pas se foutre sur la gueule, c'est clair.

Mais tout le monde ferme les yeux,
Personne ne veut croire que ce n'est qu'une histoire de frontières,
Que ce n'est que l'histoire de la violence dont le courant nous entraîne vers des impasses où s'entasseront encore bientôt des millions de cadavres.
Ils n'auront pas la couleur du passé,
Ils n'auront la couleur des jours d'aurore boréale,
Ils n'auront pas le visage des matins heureux.

Non, je vous le dis, ce ne seront pas les mêmes corps, mais ce seront les mêmes hommes,
Ce seront les mêmes larmes,
Ce seront les mêmes âmes qui se trouveront réunies grâce à ce spectacle tragique

Qui n'a que le sens de la déchirure,
Le sens du malheur,
Le sens des chagrins immenses,
Ceux qui ne guérissent jamais et traversent l'Histoire en attisant éternellement les rêves de vengeance.



 

Au petit matin la ville s'éveille
Et je promène mes mains sur ton corps doux et tiède comme celui des petits oiseaux au cœur palpitant, que je recueille parfois sur mon balcon.
Heurtés par je ne sais quel obstacle, ils sont souvent à l’agonie.
Je colle à leurs oreilles les coquillages que j'ai ramassés l'été précédent à la plage secrète de mes plaisirs d'enfant.
Comme à toi je te dis en silence tout ce que j'aime en toi.

Je laisse monter très haut mon désir, mais je ne le déflore pas.
Je le laisse s'épanouir en une couronne de rêve que je pose sur mon cœur afin qu'il s'apaise enfin.
Et je ne sais plus si je rêve
Et ne sachant plus si je rêve ou pas j'atteins alors l'éternité,
J’atteins la réalité de l'irréalité,


 

Un chien roux s'est mis à aboyer tout près de moi.
Apparemment je suis son maître
Et il ne veut pas me laisser partir ainsi.
Je m'embarque pourtant au port le plus proche
Et je m'envole pour des lointains inconnus qui ne me font pas peur.
Je vois ses yeux doux qui me regardent avec tristesse.

Quel élan inattendu me donnera le courage de faire moi-même le saut final quand tout sera fini ?
La profondeur de l'univers étoilé me donne tout de même un peu d’espoir.
Heureusement, les formules mathématiques qui limitent nos vies par des mesures précises, je n'y crois pas.
J'y croirais si on pouvait aussi les mesurer elles-mêmes.
Mais mesure t-on un mètre ou la connaissance ?
Il faut un étalon de toute façon.

On aura beau retourner le problème dans tous les sens, cela ne nous dira pas d'où nous vient ce sens de la mesure,
Car il vient du non-mesurable.
Le besoin de mesurer vient nécessairement de quelque chose qui a besoin d'être mesuré.
On ne peut mesurer que si l'on peut aussi dé-mesurer.


 

C'est ainsi que des lionceaux de pierre ont creusé des tunnels de désir
Où l'on pouvait dormir tranquillement,
Car personne ne connaissait ces endroits secrets
Qui jonchaient les mers intérieures
D’indigènes indigents mais heureux.
Heureux de devoir en revenir finalement aux mains,
De devoir caresser de leurs mains les improbables statues de chair
Qui s'envolaient parfois au-dessus de nuages secrets
Pour laisser la place à des aéronefs orgueilleux,
Ceux qui planent au-dessus de nos têtes et enfièvrent les rêves des enfants.


 

Les gourmets de l'amour raffiné
Se mouvaient autrefois sur des échasses invisibles
Leur permettant de franchir des espaces immenses
À une cadence que personne ne pouvait égaler,
Car il n'y avait qu'eux qui pouvaient s'aventurer
Sur ces terres ingrates où il fallait prendre son temps pour pouvoir avancer.


 

En vérité, je vous le dis, le langage des extraterrestres,
C’est la musique. 
Il n'y a que la musique qui puisse sauver la planète Terre.
Ce sont eux les grands musiciens de l'univers qui donneront le ton,
Le ton d'une symphonie,
Le temps d'une mélodie,

 

 

En tout cas, ce jour-là,
Les autobus ne s'étaient pas remplis,
Ils avaient même dû rouler presque à vide pendant toute une journée.
Et les chaussées s’étaient désespérées de ne plus sentir cette pression familière des pneus
Qui les faisait ressentir leur existence
Bien plus que toutes les étiquettes,
Bien plus que toutes les pancartes qui les bordaient sans scrupule
Ou tout autre sentiment parasite.

L'expérience quotidienne fut moins routinière,
On y perdit parfois sa lumière,
Mais on la retrouvait quelques kilomètres plus loin
En plein milieu d'une clairière


 

Les trains de nuit se sont enfoncés dans l'obscurité moite des couchettes moelleuses
Où se vautraient des girouettes de feu qui brisaient la trajectoire coutumière des longs fuseaux de marbre veiné
Avec des rayonnements qui traversaient les stratosphères des rêves des voyageurs qui en avaient fait leur domicile permanent
Et alors les gouttes étincelantes se rassemblaient pour composer des mosaïques inédites
Se mouvant intérieurement comme des ballets en mouvement constant
Si bien qu'en finale on avait la même impression qu'autrefois devant les étoiles lointaines
C'est-à-dire qu'on ne les voyait jamais bouger et pourtant on savait qu'à des millénaires de vue
C’était le monde entier qui ne cessait jamais de danser


 

Encore et encore !
Avec, à chaque fois, cette culmination éclatante du plaisir qui me coupera de toi
Encore et encore et encore !
Je rêve parfois d'orgasmes qui seraient tellement forts qu'ils m'amèneraient au seuil de ma mort.
Peut-être même la franchirai-je un jour (ou plutôt une nuit) cette porte ultime où je n'aurai plus le choix qu'entre le néant et la plénitude totale.
Toi et moi ne ferons plus qu'Un.
Nous ne saurons plus lequel est laquelle
Ni laquelle est lequel.
Mais, pour l'instant, je ne sais qu'affirmer ce que je prétends être, ce que la nature veut que je sois uniquement, n'est-ce pas ?


 

Nos deux yeux ne regardent jamais
Exactement en même temps
Jamais au même moment
Ils croient voir
Alors qu’ils sont simplement des reflets
Du monde environnant

 

Je bute soudain contre une motte de terre
Qui se trouve là
Près d’un monastère
Celui où je réside depuis ma naissance
Résidu chaotique de l’histoire ancienne
Drôle d’histoire
Qui me fit traverser des buissons ardents
Où quelqu’un voulut me dire qui je suis
Mais je suis toujours des sentiers
Qui sont invisibles aux passants
Qui sont encore plus invisibles aux touristes
À moi ils me sont familiers
Car c’est moi qui les ai tracés
Par mes passages incessants


 

La ville basse m’offre ses caresses de bateau sans quilles
Avec des filles au large sourire
Qui ne comprennent rien à ce que je dis
Mais leur chaleur est si douce à mon cœur
Me laisserai-je encore entraîner dans les bouges du soir
Dans les ripailles de l’ignorance
Les célébrations fauves
Les beuveries nocturnes
Les fous-rires stupides qui ne coûtent rien
Mais qui me font tellement de bien
Et je m’embarquerai à nouveau en aveugle
Sur des vaisseaux enflammés qui me transporteront
Jusqu’aux pointes affûtées 
D’orgasmes extrêmes
Annoncés par un crescendo prenant la forme
D’architectures mouvantes nées
De mes déchirures mille fois reniées
Afin de rester à tout prix fidèle
À mon infidélité originelle
J’entendrai alors le son ultime
Celui qui précède la mort


 

Les deux lunes rousses des cinq saisons qui divisent le temps
Ont jeté leurs oripeaux nocturnes
Pour donner d'elles le meilleur de la sève magique qu’elles sécrètent depuis des siècles.
C'est ainsi que va la vie.

 

Des yeux incandescents me brûlaient le cœur
Et j'ai cru que j'allais mourir sur-le-champ.
Mais comme j'étais déjà mort
Je n'avais plus qu'à rentrer au port
Ou à lever l'ancre de mon désir
Pour le transporter dans une autre mer ou dans un lac, pourquoi pas ?
Ce n'est pas la taille qui est importante !
Osons enfin ôter nos bretelles de protection
Afin de respirer librement les nuages miraculeux des hautes sphères,
Celles qui ne sont pas bordées par ces écriteaux
Que personne ne sait et ne saura jamais décrypter.

 

Les dentelles unicolores des vérandas précèderont demain toutes les entrées des funérariums célestes.
On vient déjà applaudir les litanies en cortège interminable qui se forment après les pluies nocturnes
Qui frappent à la porte de sommeils parsemés d'étoiles et de vagues trous noirs
Que nous avons tous traversés sans en être conscients.

 

Lumière et obscurité se succèdent alors suivant un ordre immuable,
Mais il advient parfois qu'elles se mélangent étrangement
Et alors un vent nouveau souffle sur les braises anciennes qui ne veulent pas mourir.
Et alors nous assistons au lever de matins clairs qui ravagent les plaines interminables de l'ennui.
C'est le renouvellement de la vie avec des vaisseaux
Qui font naufrage sur des îles mystérieuses
Habitées par des mages,
Animées par des mirages.
Il ne me reste finalement que la beauté :
Pas celle des objets,
Pas celle des apparences,
Pas celles des montreurs d'ours,
Pas celle des menteurs prodigieux,
Mais celle des voyageurs qui s'envolent vers des altitudes intérieures,
Que seuls des vaisseaux de l'au-delà pourront un jour atteindre,
Car c'est à la fois hauteur et profondeur.

 

Les rafales sont parfois douces au cœur de ceux qui croient en la vérité des fleurs de cristal qui s'épanouissent en plein milieu des tempêtes d'été,
Où les orages prennent une ampleur désespérée afin de mieux communiquer avec les instances secrètes qui sont comme des antennes installées au fond des tunnels du temps.
Le temps est
une spirale que nous chevauchons tous allègrement.

 

Les lunes d'antan exhalaient leur nostalgie d'un futur qu'elles n'avaient jamais connu,
Mais qui jaillirait un jour comme une source d'argent écumant en dentelles précieuses,
Qui viendraient couronner les sommets dansants des rivages profonds des terres ocre
Maquillant des silhouettes encore hésitantes
Aux terrasses des coteaux tendres où des nuées de petits oiseaux piaillant
Viendraient brouter l'herbe bleue envahissant tous ces chemins

 

Le temps s'est achalandé au fil des débandades
Des environnements devenus trop diaphanes pour qu'on puisse s'en empiffrer.
Les rondes de nuit n'y feront rien.