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Mohamed et veronique

 

MOHAMED ET VÉRONIQUE
Un jeune beur, poursuivi par des personnages mystérieux, tente de se réfugier chez une femme d'origine occidentale. Après un face-à-face tragicomique, qui aurait pu mal tourner, elle le laisse entrer chez elle quand elle découvre qu'il est gravement blessé. Finalement elle se laissera séduire par la sensibilité particulière de son visiteur. Mais celui-ci est sans cesse interpelé par son passé, qui vient frapper à la porte même de l'appartement. Cette pièce - qui se lit comme un roman - nous raconte, sur un mode vif et léger, comment un jeune homme tente de composer avec les déterminations sociales de ses origines et de son appartenance ethnique par une mise en scène inventive, où l'on ne sait plus faire la part du réel et celle de l'imaginaire.

Auteur : Jean-Paul Inisan, Éditions L'Harmattan, 2014. Prix : 12 €. Peut être commandé en librairie et sur tous les sites de vente internet (fnac.com, amazon.fr, decitre.fr., dialogues.com, etc.), ainsi que sur le site des éditions : editions-harmattan.fr (recommandé, plus rapide). Existe aussi en version téléchargeable PDF.


6 extraits de Mohamed et Véronique

(reproductions autorisées avec mention de la source)

EXTRAIT 1

UNE VOIX D'HOMME, angoissé.
Ouvre, ouvre, vite, vite, je t'en prie, ouvre-moi !

La femme a l'air surprise et, après un instant d'hésitation, elle se dirige vers la porte, qu'elle entrebâille prudemment, après avoir mis en place la chaîne de sécurité. Celle-ci se tend immédiatement sous l'effet d'une poussée violente, venue de l'extérieur mais la porte ne s'ouvre pas. On aperçoit le visage enfantin d'un jeune homme d'origine maghrébine, assez petit, à l'aspect fragile.

MOHAMED, en urgence, avec un fort accent « beur ».
Vite, vite, ouvre-moi, ouvre-moi, viiiite ! Sois gentille, s'il te plaît, ou ils vont avoir ma peau... Vite, vite, vite ! C'est une question de vie ou de mort ! Dépêche-toi s'il te plaît !

VÉRONIQUE
Mais, mais... je ne vous connais pas !

MOHAMED
Eh bien, alors ouvre-moi et tu me connaîtras ! Allez, on est en train de perdre du temps, là ! Dépêche-toi !

VÉRONIQUE
Je ne peux pas ouvrir ma maison à un inconnu.

MOHAMED
Mais si, mais si ! Rien ne t'empêche de le faire ! Mais dépêche-toi de le faire ou ils vont me rattraper ! Vite, vite, c'est urgent
 !

VÉRONIQUE, froide et polie
Je suis désolée mais je ne vous connais pas.

MOHAMED, vite, improvisant.
Mohamed Habdelkader, je suis... euh... ah ! euh, je veux dire Habdelkader avec un H devant, pas avec un... et je garde les moutons et, parfois, je les tonds pour la laine et je les égorge aussi pour la viande, et j'ai vingt-trois ans, vite, vite, vite, ouvre maintenant !

VÉRONIQUE
Mais... Mais... Ça n'est pas rassurant du tout, ça ! Vous... vous êtes dangereux... Qui... qui... sont ces gens qui vous courent après ? Ce sont les forces de l'ordre ?

MOHAMED, en criant fort mais un peu plaintif.
Mais ouvre-moi, ouvre-moi donc ! Tu veux ma mort ou quoi ? Ou tu es inconsciente ?

VÉRONIQUE, pensive et un peu enjouée.
Je vous ouvrirai si vous me dites qui vous poursuit.

MOHAMED, plaintif
Mais je n'en sais rien, moi !

VÉRONIQUE, ironique et péremptoire.
Vous n'en savez rien ? Eh bien, dans ce cas, je suis désolée mais je ne peux pas vous ouvrir ma porte.


EXTRAIT 2

MOHAMED
C'est ça ! Si j'avais de l'imagination tu m'ouvrirais ta porte et même plus peut-être, hein ! Mais c'est vrai, tu as raison, c'est comme cela maintenant : la simple vérité ne touche plus personne ! Pour croire que quelque chose est vraie les gens ont besoin qu'on leur raconte des histoires qui les bouleversent. Eh bien, moi, je vais te dire la vérité: il y a environ une heure, j'ai voulu intervenir pour défendre une jeune femme qu'on voulait faire pénétrer de force dans un appartement comme celui-ci, exactement comme celui-ci ! Depuis je suis poursuivi, voilà, je suis entré ici pour échapper à la « haine » qui me poursuit ! Voilà, maintenant que je t'ai dit la vérité, tu n'as plus d'autre solution ! Tu es obligée d'ouvrir maintenant !

VÉRONIQUE
Mais... mais... vous venez d'inventer cette histoire ! Je n'y crois pas du tout !

MOHAMED, faussement pédagogue.
Écoute-moi bien : ou bien c'est une histoire vraie et, dans ce cas, tu dois m'ouvrir, ou bien c'est une histoire fausse et, dans ce cas, tu dois aussi m'ouvrir car je t'aurais prouvé que j'ai de l'imagination ! Tu vois, tu n'as pas le choix !

VÉRONIQUE
Je ne comprends pas !

MOHAMED
Tout à l'heure, rappelle-toi, tu m'as dit que tu ne pouvais pas me faire confiance parce que je manquais d'imagination !

VÉRONIQUE, troublée.
Mais... mais ce n'est pas du tout ce que j'ai dit ! Ce que j'ai dit, c'est que vous... vous... vous ne preniez même pas la peine de... de... d'inventer !

MOHAMED, exultant.
Eh bien, ça y est maintenant, je t'ai inventé une belle histoire ! Qu'est-ce que tu dois être contente !

VÉRONIQUE, criant, exaspérée.
Mais non, mais non ! Ce n'est pas du tout ça que je voulais !

MOHAMED
Tu ne sais pas ce que tu veux, Madame !

VÉRONIQUE
N... non... non... mais je sais ce que je ne veux pas !

MOHAMED, ironique.
Ah oui ? Quoi donc alors ?

VÉRONIQUE, hostile.
Je ne veux pas ouvrir ma porte à n'importe qui !


EXTRAIT 3

VÉRONIQUE, tendue.
Mais qu'est-ce qu'il y a, Moha ?

MOHAMED, l'air essoufflé, parlant comme à lui-même.
Ils ont failli m'avoir mais ils ne m'auront pas aussi facilement ! En fait c'est moi qui les tiens !

VÉRONIQUE, angoissée.
Mais qu'est-ce qui se passe, Moha ? Qui a tiré ?

MOHAMED, nerveux, irrité.
Hein ? Qui a tiré ? Eh bien, c'est moi évidemment !

VÉRONIQUE, l'air horrifiée.
Toi ?

MOHAMED, criant et agitant nerveusement le pistolet devant le nez de Véronique.
C'est moi qui ai tiré ! Es-tu devenue sourde ou quoi ?

VÉRONIQUE, consternée.
Mais Moha, qu'est-ce que tu as, qu'est-ce qui te prend ?

MOHAMED, la regardant comme si c'était une étrangère et paraissant découvrir soudain sa présence.
Ah oui ! Ah, c'est toi ! Calme-toi maintenant, ce n'est rien ! Tout cela, ce n'est rien du tout ! Du vide, rien que du. vide ! Ce n'est rien, ce n'est rien !

VÉRONIQUE
Mais enfin, Moha ! Il y a eu un coup de feu et puis ton... ton... (Elle montre le pistolet dans la main de Mohamed).

MOHAMED
Ah oui, mon arme ! Ce n'est rien, ce n'est rien, rien du tout !

VÉRONIQUE, en colère, tapant du pied.
Mais si mais si, c'est quelque chose ! Explique-moi, explique-moi ou je vais devenir folle !


EXTRAIT 4

MOHAMED, se laissant entraîner à l'intérieur mais résistant à l'étreinte.
Comment peux-tu avoir besoin d'un fou dangereux ?

VÉRONIQUE, balbutiant.
Je... je... ne sais pas... euh... excuse-moi... je... je... ne sais plus ce que je dis... Ce que je sais, c'est que je t'aime !

MOHAMED
Oui, mais m'aimes-tu réellement ou comme tu t'imagines que je devrais être ?

VÉRONIQUE
Je... je... je ne sais pas... Je t'aime, un point c'est tout !

MOHAMED
Il y a à peine une minute, tu m'accusais presque d'être déséquilibré. Peux-tu aimer un déséquilibré ?

VÉRONIQUE, plaintive.
Mais tu exagères, Moha ! Je n'ai jamais dit ça !

MOHAMED
Oh, c'est tout comme ! Réponds à ma question.

VÉRONIQUE
Mais Moha, tout ce que j'ai dit, c'est qu'on pouvait trouver un équilibre entre douceur et violence, entre le monde extérieur et le monde intérieur ! Je n'ai jamais dit que tu étais déséquilibré !

MOHAMED
Oui, mais ma question est maintenant : si j'étais vraiment déséquilibré m'aimerais-tu quand même ?

VÉRONIQUE
Je... je... ne sais pas.


EXTRAIT 5

Véronique prend la photo dans sa main et l'examine attentivement puis elle sourit prudemment.
VÉRONIQUE
Désolé, Moha, mais je ne te vois nulle part sur cette photo.

MOHAMED, patient.
Regarde bien et dis-moi ce que tu vois.

VÉRONIQUE, se concentrant sur la photo.
Je... je vois... euh... des gens en blouse blanche... Des infirmiers ou des médecins sans doute...

MOHAMED, pédagogue.
Oui, c'est bien ! Et que font ces personnages en blouse blanche ?

VÉRONIQUE, s'appliquant.
Euh... je ne sais pas... ça n'est pas très net, euh... Ils ont l'air de tenir une autre personne qui... qui... qui n'a pas de blouse, elle !

MOHAMED
Et qui est cette personne ?

VÉRONIQUE
Euh... ça n'est pas très net mais je ne la connais pas !

MOHAMED, agacé.
Mais regarde bien, regarde bien ! Tu ne reconnais pas l'homme en uniforme ?

VÉRONIQUE
Euh... euh... non !

MOHAMED
Mais c'est moi, c'est moi, Véro ! Regarde bien et tu me reconnaîtras !

VÉRONIQUE
Toi ? Mais il ne te ressemble pas du tout ! Ce type-là, il est barbu et il a le crâne rasé !


EXTRAIT 6

UNE VOIX DE FEMME, avec un fort accent beur.
Moha, Moha, réponds-moi, je sais que tu es là ! Ici c'est Aïcha ! Ouvre-moi, mon chéri !

Silence

LA MÊME VOIX
Moha, ouvre ! Je sais que tu es là, Loubna t'a vu entrer ici, ouvre, mon chéri (silence) ! Fatima est rentrée de l'hôpital, tu sais ! Elle n'arrête pas de pleurer et de te réclamer ! Et elle ne veut plus sortir maintenant ! Je crois qu'elle t'a pardonné et puis l'opération a été annulée, tu sais ! Ça n'a plus de sens maintenant que tu te caches ! Alors ouvre vite maintenant, mon chéri, il est temps que tu rentres à la maison maintenant !

LA VOIX, en aparté.
Il n'est sûrement pas là ! Il n'aurait jamais supporté l'idée que Fatima ne sorte plus !

On entend la personne qui s'éloigne dans le couloir. Mohamed et Véronique restent immobiles pendant quelques instants encore, retenant leur souffle. Puis Véronique se relève soudain vivement et, pensive, contrariée, elle se dirige lentement vers l'autre côté de la pièce.
Mohamed se relève à son tour, il pose le pistolet sur la table et se met à rire.

MOHAMED
Ils sont très « subtils » mais pas assez quand même pour piéger Mohamed Habdelkader !

VÉRONIQUE, colère et chagrin visiblement et difficilement retenus.
C'est qui toutes ces femmes qui te réclament ?

MOHAMED, l'air faussement détaché.
Oh, ce sont de vieilles connaissances et elles ont dû être « manipulées » pour me faire sortir d'ici !

VÉRONIQUE, la voix étranglée.
Mohamed, la femme t'a appelé... t'a appelé... « mon chéri » !

MOHAMED
Oh, c'est très africain, tu sais ! Ils sont très « démonstratifs », les Africains ! Il faut toujours qu'ils soient enthousiastes quand ils rencontrent quelqu'un, même quand ils ne le connaissent pas !

VÉRONIQUE, figée.
Je ne te crois pas.

MOHAMED, avançant prudemment vers elle.
Enfin, tu ne vas pas être jalouse tout de même !

VÉRONIQUE, se retournant vivement.
N'approche pas !