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DÉRIVES POÉTIQUES
À SAINT-MALO...

Divagations sur le Sillon

Quelques extraits du prochain livre de
Jean-Paul Inisan

publication  prévue en 2024
 

Couv divag 1
En marge des fastes mondains du festival  "Étonnants voyageurs" à Saint-Malo, l'écrivain et poète malouin Jean-Paul Inisan
nous offre ci-dessous une image un peu différente de la célèbre ville corsaire, où il réside depuis quelques années. 

 

I.- EXTRAITS COURTS

*
Entre combats et folles chimères,
Entre ses ruelles obscures et ses enclaves de lumière,
Entre son passé noir et la clarté fabuleuse de sa gloire,
Saint-Malo ne cesse de me raconter son histoire.


*
"Ni français ni breton, malouin suis".
Même tes habitants qui ne sont pas nés ici
Revendiquent fièrement ta différence,
Héritage lointain d’une brève indépendance.


Cela leur fait le cœur chaud
Que le drapeau de Saint-Malo soit le plus haut.
C’est bien plus qu’un symbole
De s’afficher au-dessus de la métropole !


*
Ho Ho Saint-Malo,
Je n’entends plus les flots !
Tu chantes à tue-tête,
Plus fort que la tempête !

 

Tu cries sur les remparts
Que tu ne dois rien au hasard,
Que ton éternelle gloire,
Tu la dois à ton histoire,

 

Elle s’est faite à coups de canon
Et par de féroces expéditions,
Mais tu es toujours très fière
De tes héros légendaires.

 

*

Sautez sur le premier nuage,
Car ici ils sont tous de passage.
Il vous amènera très loin,
Il vous remettra sur le bon chemin.

 

C’est celui de l’aventure et du rêve,
Là où le monde en vous jamais ne s’achève.
Si vous ne me comprenez pas
Ne changez surtout pas de voie.

 

*

C’est un soir d’hiver à Saint-Malo
Et le temps n’est pas beau.
La pluie tombe en trombes.
D’énormes nuages sombres,

 

Comme un immense couvre-ciel,
En un majestueux funèbre cérémoniel,
Rassemblent lentement leurs troupes
Qu’ils vont déverser en torrents de gouttes.


*
Saint-Malo s’invertit en hiver.
On n’y oublierait presque la mer
S’il n’y avait pas ces violentes tempêtes
Qui, sur les riches demeures, furieusement se jettent.

 

Les coups de vent chargés d’embruns,
Avec leurs effluves iodés et leur souffle salin,
Giflent les majestueuses façades
En de somptueuses et tonitruantes parades.

 

*
Entre les images du passé toujours présentes
Et celles du présent qui sont en train de passer,
C'est cela la vraie vie de Saint-Malo.

 

C'est une vie secrète, une vie forte, 
Que vous ne pouvez connaître 
Qu'en dormant à Saint-Malo. 
À Saint-Malo intra murs hauts.


*

Nos chants avaient le sens du désespoir,
Nous savions que nous allions bientôt mourir,
Nous n’avions pas besoin de nous essorer
Dans une belle vasque de marbre.

 

Nos plus généreux remplissages
Faisaient déborder les fleuves de l’aventure
Et inonder les plaines de notre avenir
Du sang qui allait forger l’Histoire. 

 

Celle de Saint-Malo 
Et de bien d’autres ports de France 
Et d’ailleurs.

 

*

Sous l’onde sombre des fleurons,
Il y a ceux qui ne s’agenouillent pas 
Devant le glamour d’un faux mousqueton.
Sous la pluie qui tombe comme une myriade de minuscules perles
Transparentes et de simplicité si belles.

 

*
Ils vont sur le Sillon ou à la plage.
Ils aiment les légendaires personnages,
Représentés dans la vieille cité
Par les statues et dans des petits musées.

 

Mais eux, c’est en rêvassant sur les digues
Que, les yeux dans la vague, ils naviguent.
Le soir venu, ils se sentent repus,
Contents de tout ce qu’ils ont vu et entendu.


*
Les grands voiliers amarrés aux pontons 
Semblent s'ennuyer. 
Dépouillés de leur majesté, 
Ils sont comme de grands oiseaux déplumés 
Qui se seraient enfermés dans un poulailler. 

 

*
Devant le défilé insolite des piétons,
Qui sont comme une mouvante exposition,
Un renouvellement incessant de visages. 
C'est un véritable et perpétuel voyage

 

De côtoyer sans cesse de nouveaux promeneurs.
Gens d'ici, de là-bas ou d'ailleurs,
Ils vous offrent leur magnificence,
Celle de leurs inépuisables différences.


*

Ils se sont rencontrés à Rochebonne 
Et ils se sont promenés jusqu'à Courtoisville. 
C'est là que leur histoire a commencé. 
Ils n'étaient plus tout jeunes et ils ont commencé doucement.

 

Simplement, ils se sont assis sur un banc.
Sur le Sillon.
Ils ont échangé quelques paroles, 
Il venait juste tout juste de pleuvoir. 


*

L'air était clair, transparent. 
Sous un ciel à moitié gris et bas, 
La marée avait découvert de nombreux amas rocheux, 
La plage immense et calme s'offrait au regard,

 

Comme une ouverture illimitée à tous les possibles terrestres, 
Loin des impondérables maritimes 
Qu'exprime si bien le déroulement interminable 
De vagues toujours nouvelles. 

 

*
Dans le visage sibyllin du matin 
Qui court entre des algues démodulées
Je ne sais que penser 

La nuit vient de se dissiper 
Peut-être l'ivresse des odeurs trop iodées 
Je ne sais que penser


*

Ce beau et grand goéland tout blanc n'est pas fidèle, 
Voilà qu'il s'intéresse à présent à d'autres promeneurs. 
Je m'étais mis à rêver de je ne sais quel mystère.
Comme une grande âme blanche réincarnée 
Qui aurait retrouvé son ex-âme-sœur, 
Dans une autre vie, 
Dans un autre monde, 
Un monde parallèle. 

 

*
Le fracas lointain des vagues
Un goéland crie
Il pleut à peine l'air est doux
Le vent souffle fort

 

*

Sur le Sillon
Le défilé des âges
C'est l'exposition

Le soleil d'automne
Frise les vagues d'argent

Nuages gris-blanc 
La ligne d'horizon
Les nuages au loin flottant  

 

*
La douceur du temps
Lumière tamisée
Par le filtre de la brume

Rideau diaphane
Rayons dorés


*

Rochers au front couronné, 
Couronné par les écumes 
De la mer déchainée, 
Faisant face au vent 
Ou trônant, au milieu de l'onde tranquille, 
Comme des autels sacrés. 


*

Paramé ma bien-aimée, 
Celle du bourg avec son beffroi son église, 
Ses parcs boisés.
Et celle de la mer, sa falaise,
Ses vieilles résidences fortifiées,
Témoins d’un passé suranné,
Au-dessus d’une baie de sable blond.


*
Aujourd'hui, la mer était belle
Et mon cœur était chaud.
La vie me semblait éternelle,
C’était un jour de renouveau.



*

La vague intense du sable, dense et doux,
Comme la peau d'une jeune vierge,
Qui ne cesse d'être déflorée
Par les marées de la nuit,


Mais toujours elle en guérit.
Et je la trouve encore plus belle
Quand, chaque matin, je m’étends sur elle
En humant ses algues de dentelle.

 

*
J'avais perdu la mémoire,
Je voguais au rythme des flots.
C'étaient eux qui me racontaient mon histoire,
Ce n'était pas avec des phrases et des mots.
C'étaient de fantasmatiques images,
Projetées sur un grand écran bleu
Et, comme par un étrange sort ou un simple mirage,
Je me trouvais dedans.

 

*
Sur la plage, les chiens courent comme des lièvres,
Ils courent après d'autres chiens,
Chacun devient, à tour de rôle, de l'autre le lièvre,
Tout ça galope, galope, galope sans fin.
Là où il n'y a pas de frontières, il n'y a pas de combat.

 

*
Toute cette beauté dont on sait qu’à l’aube naissante
Elle va apparaître !
Cette belle clarté dont on sait, 
Même dans la nuit la plus noire,
Qu'elle existe.

Elle existe.
Elle va apparaître.
Mon dieu, est-il besoin de plus que cela ?


*

Saint-Malo entre murs hauts,
Comme un gothique vaisseau
À jamais amarré
À de séculaires rochers.


*
Voulez-vous avancer ou reculer ?
Il n’y a pas d’autres alternatives,
Car, ici, on ne peut vivre entre deux rives.


*

Il y a comme une sorte de complicité joyeuse,
Le sentiment jouissif d'être
Comme un clandestin légitime
Au milieu de cette foule d'inconnus,
Qui sont tellement différents de vous !
Ils ne parlent pas comme vous,
Certains ne parlent même pas la même langue que vous
Ou n'ont pas la même couleur de peau
Et, pourtant, tout le monde a l'air heureux.


*

C'était dans les yeux clignotants de la ville,
Une nuit d'automne à Saint-Malo.
Le soleil n'avait laissé aucun marque-page
Sur les débris de gros nuages.


*

Nous savons bien que demain
Ou en tout cas un jour prochain,
Nous pourrons sortir de notre cage
Pour illuminer à nouveau le paysage.


*

Le soleil se lèvera sur un clair horizon
Quand nous ne jouerons plus aux mauvais garçons,
Quand nous arrêterons nos beuveries et nos transes
Pour revenir enfin à nos vraies existences.


Nous retrouverons alors nos maisons,
Nous enfilerons nos chaussons,
Nous oublierons nos folles escapades.
Jusqu’à la prochaine grande parade.


*

C’est le destin de chacun de trouver sa voie,
De trouver un abri qui le protège de l’ennui.


*

L’immobilité définitive de mon être profond,
Celui qui n’a jamais bougé et qui ne bougera jamais

 

*
Simplement, les paroles s'envolent :
Courtes salves de mélopées murmurées,
Qui n'ont pas de cibles précises.
C'est juste si bon de s'entendre à peine parler 
Face à cette immensité grondante et mouvante,
Qui engloutit toute fierté mal placée ! 

 

*
Des marins la reconnaissance
Vaut bien plus qu’une seule existence !
Cent ans après les avoir dépannés,
Ils n’ont toujours pas oublié.


C’est ce qu’on appelle les copains.
Ils ne vous connaissent pas bien,
Mais ils n’ont pas perdu la mémoire.
Pas besoin de boîte noire !


Ce que pour eux vous avez fait,
Dans leur cœur est à jamais gravé.


*

Et même quand on en venait aux mains,
Cela se terminait toujours bien.
On se retrouvait tous autour d’une chope
Pour régler nos comptes entre potes.


*

Ne croyez pas tout ce que je vous dis,
Car il n’est pas vrai que tout a déjà été dit.


*

Si vous partez dans l’analyse
Vous ne sentirez plus la brise
Et vous échouerez sur un ilot,
Très loin de Saint-Malo.


Très loin des somptueux voyages,
Très loin des joyeux partages !
Vous vivrez comme un pingouin
Qui n’aurait plus de voisins.


*

Il faut choisir entre la paix et l’aventure,
Entre la vulnérabilité et l’armure.
On ne peut tout avoir,
Sauf si on est un buvard.

 

*
Les rêves des malouins
Sont imprégnés d’embruns.
Ils prennent racine
Là où il n'y a pas de frontières,
Entre des rives lointaines,

Celles qui ne se toucheront jamais.

 

*
Que c’est beau la vie
Quand l’hiver ne dure qu’une nuit !
Nous dormons ensemble depuis la nuit des temps
Et, en vérité, nous ne voulons pas autre chose.
Les frontières du temps sont plus fluides
Que celles des territoires auxquels on s’attache.

 

*
Trois navires ont coulé
Au large de Saint-Malo
Et tout le monde a ri.
Et l’air était tellement transparent
Qu’on voyait bien plus qu’à l’habitude.
On voyait au-delà de ce qui nous avait été dit et redit,


On traversait des siècles de fausse repentance,
On retrouvait les vieilles connaissances :
Celles qui sont enfouies au fond des mers,
Au fond des océans, des océans d’obscurité
Et qui viennent toujours la nuit nous hanter.


*

Les requins sont des poissons mangeables
Mais très peu fréquentables.
Ils ne vous sourient pas pour vous faire reculer,
Ils ne craignent pas les verbalisations et les menaces,
Ils adorent ceux qui font preuve d’audace :
Fouilleurs de plage, touristes forcenés, baladeurs étrangers,
blanchets ou noirets, caprins d'opérette ou de cœur.

 

*
Tout le monde ici monte le même chameau,
Que l'on soit au creux de la dune ou tout en haut.
Ici, comme dans le désert, on est des autres tous solidaires.
Bien sûr, il y a ceux qui veulent tout faire en solitaire,


Mais ceux-là, on ne les voit jamais :
Soit ils restent pendant des mois chez eux enfermés,
Soit ils ont si totalement disparu derrière l’horizon
Qu’on perd conscience de leur existence.


*

Quand on est au loin
Sur le même bateau
On ne jette pas le vin à l’eau !
On a vite fait de démasquer les marauds,


Pas besoin d’observatoire,
Car c’est un petit territoire.
Ici, la frontière c’est la mer,


On n’attend pas d’être rentré au port
Pour être fixé sur son sort.


*

À force de tourner en rond,
Dans ma cyclique prison,
Je ferai bientôt en avant un nouveau bond.


*

Cézembre baril de poudre protégé 
Ile torturée jadis mille fois déchiquetée 
Les intestins noués 
De la grande mascarade obsolète 
Qui fabrique les armes 
Dont se nourrissent les bêtes féroces 
Qui s'affrontent dans le désert des villes 
Qui se construisent et se déconstruisent 
Au fil des vagues qui vont et qui viennent 
Qui charrient dans leurs flots 
Les débris des arsenaux égarés 
Dans l'histoire des siècles 
Et les poudrières de l'avenir guerrier 
Ne seront qu'un spectacle de plus à donner 
Dans l'obscurité naissante 
Alors que je ne verrai plus les nuages planant 
Et que je m'enracinerai là où je ne naîtrai jamais 
Là où les caravanes de feu passeront en un éclair 
En un éclair de feu 

 

*
Les îles de ma solitude sont bien plus à l'abri 
Que cette masse informe 
Et son sourire si accueillant 
Qui cache un potentiel meurtrier 
Des têtes qui explosent 
Des bras de mains coupées du sang qui rougit 
Qui fait honte et le premier napalm 
Qui incendie les corps et laisse dans les cœurs 
Un souvenir abominable 
Traces du passé que je ne peux visiter 
Que je ne peux qu'imaginer
Traces de l'avenir qui restent 
Comme un marchepied pour accéder 
À l'infinité 
À l'infinité des possibles 
Des possibles meurtriers 
Terre blessée à mort 

 Voir aussi la page "500 CITATIONS COURTES de Jean Paul Inisan"

 

II.- EXTRAITS LONGS


SAINT-MALO INTRA-MUROS


Saint-Malo entre murs hauts,

Comme un gothique vaisseau
À jamais amarré
À de séculaires rochers.


Sous un ciel d'errance,
Les nuages, dans mes yeux, dansent.
Ils m'invitent à un lointain voyage
Vers de légendaires rivages.

 

Mais sur les remparts je ne peux résister au vent
Qui me renvoie sans détour dans le présent.
Il me fouette si fort le sang
Que j’en deviendrais presque brigand !

 

Entre combats et folles chimères,
Entre ses ruelles obscures et ses enclaves de lumière
Entre son passé noir et la clarté fabuleuse de sa gloire,
Saint-Malo ne cesse de me raconter son histoire.



SAINT-MALO EN HIVER (extraits)
 

Connaître Saint-Malo en automne et en hiver,
C'est du décor découvrir un curieux envers.
Quand ailleurs le froid vous lamine,
Ici vous goûtez à la douceur marine.

 

Le vent chasse les impuretés
Et vous oblige à bien respirer.
Ici, dit-on, les plus gros nuages
Ne sont jamais que de passage.

 

Le vent du large les pousse au loin,
Vers ceux qui en ont le plus besoin.
Il les envoie vers les terres agricoles
Où en pluies fertiles, généreusement ils dégringolent.

 

Ici, vous vous promenez par tous les temps,
Car ils sont toujours changeants.
Ils vous offrent tous les jours de nouveaux paysages
Et, sur les villas d'art du Sillon, d'inédits éclairages,

 

Devant le défilé insolite des piétons,
Qui sont comme une mouvante exposition,
Un renouvellement incessant de visages.
C'est un véritable et perpétuel voyage

 

De côtoyer sans cesse de nouveaux promeneurs.
Gens d'ici, de là-bas ou d'ailleurs,
Ils vous offrent leur magnificence,
Celle de leurs inépuisables différences.

 

Qu'ils arrivent par la route par les gares ou par les ports,
Qu'ils débarquent par bâbord ou par tribord,
Quels que soient leurs légitimes territoires,
Ils vous racontent tous un peu de leurs histoires.

 

[...] C'est cela Saint-Malo hors saison,
On n'attend pas des beaux jours l'apparition,
Car c'est une ville qui a du caractère.
Ici on assume fièrement son passé de corsaire.

[suite dans le livre...]

 

 

DÉCONFINEMENT
 

Aujourd’hui était un jour de renaissance.
Même s’ils se tenaient à bonne distance,
Sur la grande plage de Saint-Malo,
Les promeneurs étaient tous beaux.

 

Le temps était doux, la mer calme et basse
Et le sable fin m’offrait son immense espace.
Après avoir été aussi longtemps confiné
Je savourais comme jamais ma liberté.

 

Après avoir vécu comme en marge
Je m’enivrais de l’air pur du large.
C’était comme une révolution
Après des siècles d’oppression.

 

Je pouvais enfin respirer sans contrainte
Et voguer sans limites restreintes,
Affronter au loin les vents les plus forts,
Fixer des yeux l'horizon qui est mon vrai port.

 

Mais aussi marcher dans la fraîcheur vivifiante
Des petites vagues côtières mourantes,
Entendre leurs petits clapotis
Comme un étrange et discret récit.

 

Mystérieux et captivant langage,
Échos vagues de lointains rivages,
Qui ne m’intéressaient pas réellement,
Car je me sentais si bien là ici et maintenant.

 

Comme après une inespérée délivrance
Je me sentais en exceptionnelle vacance,
À tous les vents, à tous les possibles ouvert.
Mon cœur à tous et à toutes totalement offert.

 

Aujourd’hui était un jour de renaissance.
Même s’ils se tenaient à bonne distance,
Sur la grande plage de Saint-Malo,
Les promeneurs étaient tous beaux.


 

UN JOUR À SAINT-MALO

 
 
Aujourd'hui la mer était belle,
Le soleil était chaud,
Il réchauffait mes évanescentes ailes,
Je les sentais vibrer à nouveau.
 

Entre les hautes vagues écumantes,

Il y avait de vastes plaines de calme plat,
De larges vallées frémissantes,
Comme un immense et mouvant canevas.

 

Au-dessus d'une eau si profonde et si limpide
Qu'elle me donnait l'envie presque de m'y noyer,
Mais sans que cela soit un suicide,
Simplement pour l'envie de me purifier,

 

Pour vivre une sorte de renaissance,
Imprégner ma vieille peau
De la fraîcheur, de la pure transparence,
Et me laisser aller au loin au gré des flots...

 

Aujourd'hui la mer était belle,
Le soleil était chaud,
Il réchauffait mes évanescentes ailes,
Je les sentais vibrer à nouveau.


Le vent léger était chargé de fortes odeurs marines,
D'imperceptibles mais denses embruns,
De particules océanes si fines
Qu'avec elles je ne faisais plus qu'un.

 

Mon rêve prenait la forme du paysage :
À la fois fluide, puissant et aérien,
Il m'amenait très loin vers d'autres rivages,
Me montrait un autre chemin.

 

Je ressentais, comme en hypnose,
Un sentiment étrange de bonheur.
Dans cette inimaginable osmose,
J'abandonnais toutes mes peurs.

 

Je regardais tout à distance
Et, en même temps, je me sentais proche de tout,
Si loin et si proche de toute existence,
À la fois froidement lucide et amoureux fou !

 

Aujourd'hui la mer était belle,
Le soleil était chaud,
Il réchauffait mes évanescentes ailes,
Je les sentais vibrer à nouveau.



TAIS-TOI, SAINT-MALO. (extrait)

 

Tais-toi, Saint-Malo,
Je n’entends plus les flots,
Tu cries à tue-tête
Plus fort que la tempête !

 

Tu cries sur les remparts
Que tu ne dois rien au hasard,

Que ton éternelle gloire
Tu la dois à ton histoire.

 

Elle s’est faite à coups de canon
Et par de féroces expéditions,
Mais tu es toujours très fière
De tes héros légendaires.

 

Tais-toi, Saint-Malo,
Je n’entends plus les flots,
Tu cries à tue-tête
Plus fort que la tempête !


Les clameurs qui montent de la mer

Racontent un passé de feu et de fer,
Le sang qui gicle pendant les abordages,
L’exécution sommaire des équipages.

 

Tes héros n’étaient pas des saints,
Ils ne tuaient et ne volaient pas pour rien !
Certes, ils étaient loyaux et braves,
Mais c’était aussi des marchands d’esclaves.

 

Tais-toi, Saint-Malo,
Je n’entends plus les flots,
Tu cries à tue-tête
Plus fort que la tempête !


Tu clames tes traditions
Qui sont celles de la navigation,

Avec ses joies et ses peines,
Avec ses amours et ses haines.

 

Tu pleures tes marins perdus,
Ceux qui ne sont jamais revenus
Et ceux morts de vieillesse
Après une vie de hardiesse.

 

Tais-toi, Saint-Malo,
Je n’entends plus les flots,
Tu cries à tue-tête
Plus fort que la tempête !


Tu chantes sur tes bateaux

Des chants virils et beaux,
Sur la mer, en équipe ou en solitaires,
Les marins sont toujours solidaires.

 

Tu ris très fort
À l’abri dans tes ports :
Tu te moques de tes rivales
Qui ont perdu des batailles navales !

 

Tais-toi, Saint-Malo,
Je n’entends plus les flots,
Tu cries à tue-tête
Plus fort que la tempête !


Aujourd’hui encore, les milliers de voix

Qui, l'été, éclatent de joie 
N’ont pas besoin de te connaître
Pour te louer et faire la fête.

 

Les touristes vivent au présent,
Même quand ils visitent tes monuments,
Quand ils admirent tes paysages
Ou qu’ils s’amusent sur tes plages.

 

Tais-toi, Saint-Malo,
Je n’entends plus les flots,
Tu cries à tue-tête
Plus fort que la tempête !


La sirène puissante des ferries

Qui, parfois le matin, longuement mugit
Nous rappelle la formidable infrastructure
Qui fait briller tes historiques dorures.

 

Elle nous rappelle les mille va-et-vient
Qui font partie de ton destin.
Tu as été toujours sur le monde largement ouverte,

Sans jamais pour autant à personne te soumettre.

[suite du texte dans le livre...]

 

 

SPECTACLE

 

Théâtre à l'envers
La salle est claire
Et la scène est sombre

 

Souples et puissantes
Des vagues géantes
Bondissent impudemment
Sur la digue piétonne
Elles s'écrasent à mes pieds
Qu'elles parviennent parfois à lécher

 

La clarté sur les rares ombres mouvantes
Qui se promènent un soir d’automne sur le Sillon
Fait face à la nuit noire de la mer

 

Parsemée de signaux lumineux
Comme des phares mystérieux
Communiquant entre eux

 

Langage secret
Qui me fait rêver


 

IMMINENCE
 

Je savoure la prolongation délicieuse
De l'imminence,
Celle du petit matin.
Le petit matin est imminent !

 

Mais si tout devait rester ainsi ?
Une imminence éternelle,
Éternelle.
Éternelle.

 

J'attendrais éternellement que les gens se lèvent,
Que les premières voitures se mettent à rouler,
Que les premiers joggers
Surgissent à l'autre bout du Sillon,

 

Du côté de Courtoisville
Et du côté opposé de Rochebonne.

 

J'attendrais éternellement
Que les gens sortent de leurs maisons :
Les promeneurs, les baigneurs, les ballons,
Les enfants qui jouent,
Les chiens qui courent !

 

J'attendrais,
J'attendrais éternellement
En étant certain que cela va survenir.
Inéluctablement,
Sans jamais jamais en douter...

 

Et cela ne surviendrait pas !
 

Et, pourtant, je continuerais à croire très fort
Que cela va survenir.
Inéluctablement.

 

Et cela ne surviendrait pas !
 

Quel bonheur !
Rien que de l'imaginer me met déjà en transe,
Je ne parviens plus à faire la différence.
Est-ce cela la Vie ?

 

Toute cette beauté dont on sait qu'elle va apparaître,
Cette beauté dont on sait qu'elle existe.
Est-il besoin de plus que cela ? 

 

Mon dieu, c'est déjà beau que l'existence existe !
Merci à l'existence.
Merci à l'imminence.




TOI

 

Quelle surprise de te trouver devant moi,
Toi que je cherchais au loin, là-bas !
Tu n'étais pas partie chez ton amie la lune,
Tu ne t’étais pas cachée dans un trou de la dune !

 

Il me suffisait de bien orienter mon regard,
Sans le laisser partir au hasard.
Et alors j'étais comme une immense plage
Qui recevait sans cesse la caresse des vagues.

 

Elles s'élevaient très haut
Et elles roulaient comme des cerceaux,
Se gonflaient en rondeur et en volume
Avant d'éclater, couronnées d'écume.

 

En m'aspergeant de leur fraîcheur,
Elles me réveillaient de ma torpeur,
Je quittais enfin mes chers livres,
Je me remettais à vivre.


 

À  BON  PORT
 

Celui qui sur l'autre a raison
A tort d'avoir raison.
Mais celui qui s'est égaré dans l'océan du tort
Peut toujours revenir au port.

 

Et alors il se lèvera une nuit
Pour interroger ses amies.
Il contemplera longuement les étoiles,
Jusqu'à ce qu'elles en deviennent pâles.

 

Et alors il verra le soleil se lever
Et il sera éclairé
Par une lumière nouvelle,
Qui lui donnera des ailes.

 

Il verra au-delà de l'horizon,
Il fera en avant un grand bond,
Il perdra totalement la face
Mais il y gagnera le plus grand des espaces.

 

Ainsi parlait le roi des mois,
Mais soudain la vie le quitta.
Que reste-t-il alors de cette fable ?
Il n'en reste que l'inexprimable.


 


DES FLOTS ET DES MOTS

 

J'avais perdu la mémoire,
Je voguais au rythme des flots,
C'est eux qui me racontaient mon histoire,
Mais ce n'était pas avec des phrases et des mots.

 

C'étaient de fantasmatiques images,
Projetées sur un grand écran bleu
Et, comme par un étrange sort ou un simple mirage,
Je me trouvais dedans.

 


REPTILE

 

C'était dans les yeux clignotants de la ville,
Une nuit d'automne à Saint-Malo.
Le soleil n'avait laissé aucun marque-page
Sur les restes de gros nuages,

 

Qui se traînaient au-dessus des boulevards
Et se disloquaient  au hasard,
Vers les rives maritimes
Où, lentement, des bateaux errants
S'arrimaient
En silence.

 

Et les marins qui en sortaient
Étaient comme des fantômes ailés,
Qu'un vent furtif semblait tous pousser,
Long fleuve reptile,
Vers la ville,

 

Bientôt envahie par cette marée
Aux amplitudes variables
Et à la vitesse si immuable
Que l'on ne pouvait que l'accepter.


 

ROCHERS
 

Rochers au front couronné,
Couronné par les écumes
De la mer déchainée,
Faisant face au vent

 

Ou trônant au milieu de l'onde tranquille,
Comme des autels sacrés.
Immobilité permanente des ilots
Dans un monde  sans cesse mouvant de flots.

 

Rochers à l'usure décontenancée,
Alternativement dominés puis dominants,
À la peau rugueuse,
Comme celle des chênes anciens,


Amas de pierre ornés
D'une végétation aqueuse
Exhalant les parfums poivrés de la mer !

 

Rochers qui sont un défi aux pieds,
Un défi à l'équilibre,
Qui sont comme l'ornementation naturellement disharmonique
Des plaines maritimes des côtes bretonnes.
À marée basse.

 

Rochers aux trous secrets,
Aux cavités habitées par une vie secrète,
Zones de turbulence qui se couvrent et se découvrent,
Jamais pareilles,
Jamais pareillement décorées,
Toujours en mouvement !

 

Chaleurs sèches de l'été,
Promontoires salés
Qui scellent l'abrupt des arêtes mal dessinées,
Dissymétriques chaos sans plan déterminé !

 

Je m'y perds parfois.
J'en connais où j'aime me reposer
Et laisser la marée, qui s'apprête à l'entourer,
Me faire un peu peur
Et revenir, l'eau jusqu'aux genoux.

 

Les vagues donnent inlassablement
L'assaut à ces forteresses
Qui ne tremblent jamais.

 

Le soleil couchant enflamme le sommet d'un ilot rocheux,
Avant de disparaître en laissant derrière lui
Une traînée orangée,
Mêlée de nuances rousses
Et de touches violettes,
Qui finit par se dissoudre dans l'atmosphère chaude
D'une douce soirée d'été.

 

Un dernier flash sur le Sillon,
Comme un regret ou une promesse
D'un matin de soleil;
Une aube à aucune autre pareille !

 

 

IMPRESSIONS

 

Sur le Sillon 
Le fracas lointain des vagues
Un goéland crie
Il pleut à peine l'air est doux
Le vent souffle fort

 

Sur le Sillon
Le défilé des âges
C'est l'exposition

 

Le soleil est chaud
Les baigneurs jouent au soleil ou s'exposent
Les couleurs scintillent 

 

Les cris des enfants
Qui s'amusent en courant 
Les regards des parents

 

Un goéland blanc 
Se pose sur un banc 
Tourné vers la mer

 

Les vagues furieuses
Comme des écharpes au vent
Des gifles écumantes

 

Il est tard il pleut
Les yeux dorés de la nuit
La ville se mouille

 

Le soleil d'automne
Frise les vagues d'argent

 

Nuages gris-blanc 
La ligne d'horizon
Les nuages au loin flottant  

 

La douceur du temps
Lumière tamisée
Par le filtre de la brume

 

Rideau diaphane
Rayons dorés

 

Nuages d'argent gris
La nuit s'achève
L'orage menace
La falaise craque
Plongeon d'un lointain  

 

Couleurs de verrines
Gourmandises opalines
Délice du matin

 

Couverture dorée
Qui me fait un pied de nez

Chaleur retenue

 

Caresse d'un corps féminin
À la fois svelte et plein
Lignes mouvantes
Émouvantes

Captivantes


Grands yeux et paupières ombrées

 

Jeune chien fou
Sur la plage immobile
Immensément nue

 

La rue paisible  

 

 

STIGMATES

 

La faune et les princes voguaient
Au sommet de frégates fantasmatiques
Qui dormaient dans une mémoire assoupie depuis des siècles.
Et tout ça, vous le réveillez malgré vous
Et vous devez vous confronter
À des ennemis lointains
Qui vont maintenant hanter vos rêves.

 

Vous qui croyiez seulement passer ici,
Vous aurez des lendemains pas toujours enchantés.
Mais cette magie vibrera au fond de vous
Comme des porcelaines choquées
Qui seront comme des échos interminables
Que vous essaierez de colmater
Avec du vieux bois marin.

 

Celui qui a été immergé pour durer
Ne peut plus ensuite être célébré,
Il est vite oublié.
Puis il renaît on ne sait comment,
Comme un incendie que l'on croyait éteint
Depuis des siècles.
Et, soudain, il se réveille on ne sait comment.

 

Tout le monde se précipite
Pas pour l'éteindre,
Mais pour s'y consumer,
Pour étinceler,
Profiter des étoiles
Que je ne sais qui
Plante tous les soirs dans le ciel de Saint-Malo.

 

 

CÉZEMBRE (1 extrait)

 

Cézembre baril de poudre protégé
Île torturée jadis mille fois déchiquetée
Offre aujourd’hui sa plage dorée
Aux aventuriers du dimanche

 

Les intestins noués
De la grande mascarade obsolète
Qui fabrique les armes
Dont se nourrissent les bêtes féroces
Qui s'affrontent dans le désert des villes
Qui se construisent et se déconstruisent
Au fil des vagues qui vont et qui viennent
Qui charrient dans leurs flots
Les débris des arsenaux égarés
Dans l'histoire des siècles
Et les poudrières de l'avenir guerrier
Ne seront qu'un spectacle de plus à donner
Dans l'obscurité naissante
Alors que je ne verrai plus les nuages planant
Et que je m'enracinerai là où je ne naîtrai jamais
Là où les caravanes de feu passeront en un éclair
En un éclair de feu
Et les étincelles qui couronnent le sommet
De cette terre abandonnée
Sont comme le sacre d'une ère révolutionnaire
Dont les éclats sont
Les reflets des vagues marines
Qui ne cessent d'assiéger l'île de Cézembre
Elles ne se sont jamais renouvelées
Ce sont les mêmes qui applaudissaient
A chaque bombe celles qui éclataient
Au-dessus de l'île
Au-dessus de toutes les îles du monde
Les îles de ma solitude sont bien plus à l'abri
Que cette masse informe
Et son sourire si accueillant
Qui cache un potentiel meurtrier
Des têtes qui explosent
Des bras des mains coupées du sang qui rougit
Qui fait honte et le premier napalm
Qui incendie les corps et laisse dans les cœurs
Un souvenir abominable

 

Traces du passé que je ne peux visiter
Que je ne peux qu'imaginer
Traces de l'avenir qui restent
Comme un marchepied pour accéder
À l'infinité
À l'infinité des possibles

Des possibles meurtriers
Terre blessée à mort
Où l'on ne peut plus creuser sans s'empoisonner
Sans risquer sa vie sans risquer sa santé
Amour que jamais ici je ne trouverai

 

Ô hommes que faites-vous de la vie simple ?
Ce n'étaient que des soldats
Ce n'étaient que des hommes
Qui obéissaient à d'autres hommes
Ils n'étaient pas des nôtres
Mais c'étaient des hommes
Et vous les avez brûlés
Et vous avez à jamais condamné cette terre
Comme vous créerez bientôt des océans de malheur
Qu'on ne pourra plus jamais traverser

 

Mais pourquoi ne pas m'écouter
Pourquoi ne pas jeter toutes ces armes
Revenons aux siècles des arcs et des flèches

 Voir aussi la page "500 CITATIONS COURTES de Jean Paul Inisan"